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La Maison sur Pied, un cadre pour Marchebranche

Dans Marchebranche, de Thomas Munier, on incarne des pèlerins amnésiques à la recherche de leur pays natal. Dans un décor de forêts étranges, les personnages vont de communauté en communauté rendre des services en échange de cartes du tarot de l’Oubli. Le tarot rend des souvenirs, pour le meilleur ou le pire. La 6e carte sera celle du pays natal.

C’est un jeu avec MJ et (c’est assez rare pour être noté) j’ai endossé le rôle pour quelques parties. J’ai même produit quelques préparations, la totale !

Dans Marchebranche, il n’y a pas de scénario mais des sortes de cadres :

  • un lieu d’arrivée et deux-trois lieux annexes,
  • une communauté, quelques PNJ dont 3 dans des situations dramatiques (les donneurs de quête),
  • les quêtes sont les situations de départ, quelques péripéties si les marchebranches se lancent, et des complications possibles s’ils ne s’en mêlent pas,
  • la carte de tarot à la clé, avec un souvenir qui s’y rattache.

Il y a un tas de tables aléatoires ultra-riches et inspirantes pour créer tout ça. On peut les utiliser à la volée pour une création tout en impro, mais ça n’est pas mon genre de beauté ; moi j’aime bien prendre le temps de laisser reposer les tirages, développer des éléments qui me plaisent, en enlever la moitié parce que je suis partie trop loin, ce genre de choses.

Je partage ici La Maison sur Pied, une grande bâtisse façon maison de Baba Yaga posée au milieu d’une forêt-marais. Les éléments en italiques sont issus des tables aléatoires, ainsi que tous les noms propres.

Lieu d’arrivée

Une maison-immeuble perchée sur une monstrueuse patte de poule. Des échelles de cordes, des escaliers à flanc de mur. De multiples cheminées. Un tronc écailleux qui remonte à l’intérieur et auxquels les habitants accrochent tout un tas de petites attentions (billets, poèmes, mèches de cheveux, rubans, fleurs séchées…)

SPOILER : C’est en réalité une maison-horla qui incite les gens à rester dans son refuge et se nourrit de leur vitalité, leurs souvenirs, leurs talents, leurs aspirations.

climat : les feuilles mortes se ramassent à la pelle et le vent murmure des poèmes

émotion : mélancolie automnale, tristesse, chagrin

habitants : des gens de passage qui sont restés, des réfugiés, des pèlerins :

  • Liane & Vestige (un couple de vieillards mélancoliques et effacés)
  • Cénacle (une femme triste, à la toque de cheffe de cuisine mais qui rate systématiquement ses plats)
  • Cornebouc (un ancien marchebranche doux et rêveur, qui ne finira jamais son voyage)
  • Follebosse (voir plus loin)
  • Enracine (voir plus loin)
  • Désolante (voir plus loin)

Un endroit au sec et accueillant au cœur des marais, qu’on voit de loin : toujours allumé dans la nuit, des fumées comme un fanal le jour. Riche en écrevisses, tourbe et eau douceâtre ; en poèmes et chansons tristes. Où l’on ne fait pas spécialement de commerce, on donne ce qu’on a mais on a peu.

On raconte que la maison a marché sur son pied de poule pour fuir un incendie il y a longtemps, et que c’est pour apaiser la brûlure qu’elle s’est plantée au milieu des marais.

le couvert : on sert aux marchebranches des pâtes aux algues et de la résine d’acacia, mais surprise sur la nourriture, le dîner est raté

le gîte : on les loge dans l’atelier de peinture d’Enracine : odeurs de térébentine et pigments d’épices, cumin, safran et cannelle. Espace encombré, toiles faces contre mur, chevalets rafistolés, plancher étonnamment confortable.

3 donneurs de quête

Désolante : Un chasseur de reliques à l’accoutrement étrange, hérissé de matériel hors d’usage qui lui est très précieux. Obsédé par l’idée de faire bouger à nouveau la Maison pour l’entraîner plus loin dans le marais, là où il ne peut pas aller par lui-même. Les autres habitant se méfient de lui.

Enracine : Une femme peintre aux manières délicates qui peint des horreurs de la forêt. Elle se rendait à une ville pour faire le portrait d’un prince et s’est arrêtée à la Maison sur Pied. Depuis quelque temps, elle se fait détruire ses toiles, saccager son atelier, etc.

Follebosse : Un goupil bipède curieux et très impliqué dans la vie de ses voisins. Il se souvient de tout alors que les autres oublient peu à peu leur vie d’avant. Se fait fort de rappeler à chacun chacune ses ambitions, ses projets, ses désirs… Son appartement est en proie à une détérioration anormale : taches noires, gondolage du plancher ou du plafond, air vicié, fuites d’eau, insectes et vers dans les draps.

2 autres lieux

Chez les va-nu-pieds

Un bivouac de bric et de broc sous les arbres, une cage en branches laissée ouverte. Une enseigne soigneusement peinte et vernie, d’une écriture enfantine. Un miroir brisé, qui permettait de voir chaque personne au pire moment de sa vie. Du bouillon de lentilles d’eau, des coquilles d’escargots vides joliment alignées. Une bombe-châtaigne à retardement.

habitants : des enfants perdus et sauvages, qui chapardent les déchets de la Maison

  • Pot-de-Lune : un gamin enveloppé dans une fourrure beaucoup trop grande pour lui
  • Agathe : la plus jeune, elle a dessiné des cercles autour de ses yeux pour imiter As-tu-vu
  • As-tu-vu : un gamin aux grands yeux de chouette écarquillés, l’air perpétuellement surpris
  • Colombe : plus vraiment une enfant, mais pas encore une adulte ; elle veut venger la mort de Carcasse, son petit frère.

Un objet en souvenir de Carcasse : un sac sans fond qui contient des petits cailloux qui permettent de toujours retrouver son chemin.

La forêt-marais

Marigot, vasières, gare aux trous d’eau, larves d’anguilles entre les jambes, comme un million de radicelles. Des objets qui remontent de la vase entre les racines, ou recrachés par l’écorce et la mousse : artefacts en morceaux, moisis, brisés. Des soupirs fermentés, des feux follets, de la brume en nappes, des sons étouffés. Une corde tendue entre des perches plantées, pour marquer le chemin.

habitants : des silhouettes courbées et sinueuses, des membres longilignes, sans visage et sans voix (murmure, rauque et chuchote)

Quête : guérir la malédiction de Follebosse

Donneur de quête : Follebosse

Situation dramatique : la Maison déteste Follebosse qui n’oublie rien, et veut le chasser.

Ordre de quête : Follebosse demande aux marchebranches de trouver la source de sa malédiction et l’annuler coûte que coûte.

Péripéties :

  • enquête : comprendre ce qui se passe entre la Maison et Follebosse
  • la Maison essaie de séduire les marchebranches : leur offrir un foyer, le sentiment d’être aimé, accueilli, choyé…
  • convaincre Follebosse de partir ou convaincre la Maison de le laisser tranquille

Carte de tarot : une carte soigneusement conservée dans un mouchoir brodé, comme neuve, le dos orné de motifs géométriques noirs et rouges

Arcane : La Lune. Dans le ciel, une lune avec un visage. Deux bêtes entourées de deux tours hurlent à la lune. Au premier plan, une écrevisse dans une mare.
Signification : horlas, égrégore, nuit, changement d’humeur, secret, rêves.
Souvenir : Une personne passionnée de folklore recueille de vieilles légendes terrifiantes qui risquent de devenir réalité si quelqu’un les lit.

Aggravations possibles : la détérioration déborde de l’appartement de Follebosse et met en danger d’autres habitants ; Follebosse est rendu malade ou poussé au suicide par la Maison…

Quête : juger la mort de Carcasse

Donneuse de quête : Enracine

Situation dramatique : Colombe s’en prend à Enracine pour venger la mort de son petit frère Carcasse.

Ordre de quête : Enracine veut que les marchebranches ramènent Colombe à la Maison sur Pied pour qu’elle soit mise dans une cage suspendue à la maison.

Entourloupe : Enracine a causé la mort de Carcasse en volant des pigments qui étaient destinés à le soigner. Mais (oubli ou mensonge ?) elle clame qu’il les lui avait donnés sans savoir qu’ils avaient un usage médicinal.

Péripéties

  • orientation : le bivouac des va-nu-pieds à la lisière du marais est bien dissimulé (des vases mouvantes, les lèvres des marais, ventouses et sangsues)
  • les enfants sauvages capturent les marchebranches dans des filets
  • une offre de l’autre camp : Colombe demande que ce soit Enracine qui finisse à la cage en échange d’une carte de tarot

Carte de tarot : une carte en papier épais avec des motifs délavés, une aquarelle à moitié effacée

Arcane : Le Bateleur : une personne avec un chapeau et une coupe. Devant elle, un établi garni d’ustensiles, de jeux ou de potions.
Signification : alchimie, artisanat, sorcellerie, fête, savoir, alcool.
Souvenir : L’épreuve du deuil : une personne endeuillée entreprend des expériences contre-nature pour redonner vie à la personne aimée.

Aggravations possibles : Enracine convainc les habitants de la Maison de partir en battue pour disperser les enfants sauvages et lyncher Colombe pour l’exemple ; Colombe tente de tuer Enracine…

Quête : faire bouger la Maison sur Pied

Donneur de quête : Désolante

Situation dramatique : Désolante veut déplacer la Maison dans le marais pour aller chercher des reliques qu’il ne peut pas atteindre seul, mais les habitants refusent.

Ordre de quête : Désolante veut que les marchebranches récupèrent le manuel d’utilisation de la Maison sur Pied (dans les marais) et en utilisent les formules pour la faire bouger.

Motivation : personne ne veut l’aider

Péripéties :

  • les habitants de la Maison ont enfermé Désolante dans son appartement pour l’empêcher de guider les marchebranches dans le marais.
  • des habitants des marais ont mis la main sur le manuel : ils n’accepteront de l’échanger que contre un trésor ou l’adoption d’un fils qui veut partir sur les routes.
  • réveillée, la Maison Horla n’est pas contente.

Carte de tarot : une plaque de métal, au contact glacé, aux entrelacs gravés encore incrustés de vase

Arcane : Le Soleil : un soleil éclatant éclaire deux personnes qui se tiennent par la main.
Signification : idéal, révélation, vérité, bonheur, brûlure, orgueil.
Souvenir : Retrouvailles : après une longue absence, deux personnes se retrouvent et se reconnaissent.

Aggravations possibles : les habitants de la maison chassent Désolante et jettent ses affaires au marais, il part tout seul vers une mort probable ; Désolante recrée l’incendie de la légende pour forcer la Maison à bouger.


Marchebranche paraîtra en mai dans la collection Jydérie des éditions Dystopia. C’est un jeu de Thomas Munier et il est illustré par Evlyn Moreau. Rendez-vous sur le site Dystopia jusqu’au 30 avril pour la précommande !


La grive vagabonde, deux JDR des Veillées oniriques

J’ai pris le pli de parler de mes lectures sur mastodon avec le #BidetBookClub, n’hésite pas à y jeter un œil si ça te botte ! C’est là qu’on voit que je lis peu de JDR… mais ça faisait longtemps que je ne t’avais pas parlé de mes parties, alors hop ! A titre nostalgique, voici un petit retour sur deux jeux de Milouch du label les Veillées oniriques, testés au début du mois.

Dans Vagabonder dans les étoiles, on joue sans MJ des hobos, ces vagabonds qui montent dans des trains aux États-Unis au début du 20e … pour trouver du travail, des coups à faire, ou même juste vivre. Les personnages vont de gare en gare, croisent des figurants qui restent quand eux s’en vont, évoquent des morceaux de vie, de jeunesse, de passé douloureux ou plus serein… incrustés dans les objets qu’ils emportent avec eux.

La Grive noire est un JDR sans PJ. Comme un Belongin Outside Belonging où l’on jouerait uniquement les cadres thématiques. On joue un paysage à plusieurs, traversé par des lignes de forces où l’humain est juste de passage, une petite touche parmi d’autres, qui habite, vit et meurt comme le font les oiseaux, les poissons, les arbres… Nous avons joué un lac, bordé d’une sombre forêt mangée par la faigne, et le fil des saisons.

Il est encore en cours de développement, mais on en reparlera à sa parution !

Des contraintes matérielles

Les deux jeux fonctionnent sur un dispositif matériel qui prend de la place sur la table : dans Vagabonder c’est la carte du rail américain (super belle) sur laquelle on déplace nos hobos, on ajoute des petits papiers qui décrivent les figurants croisés dans chaque gare… et quand il faut tirer un objet de son sac, la joueuse tire un papier d’une enveloppe.

Dans La Grive noire, c’est le soleil de parole, une grande étoile de branches de bois entrecroisées qu’on touche quand on parle. Y poser le bout des doigts permet de manifester son envie de faire une incise, y mettre la main son envie de prendre la parole. Autour des bâtons, il y a une corde posée sur la table, où chaque perle sera un chapitre, qu’on fait glisser quand on clôt.

Est-ce que c’est un style d’autrice ? Le matériel à chaque fois est central. Moi qui me lasse du jeu en ligne, j’ai adoré être invitée à rejouer avec mes mains autant qu’avec ma voix. Hésiter autour de la carte, éloigner ou approcher mon vagabond de ses compagnons, matérialiser les croisements, retrouvailles et ratages entre les personnages. Mettre en scène sa façon de fouiller dans sac aussi, ma main dans l’enveloppe cherchant désespérément une arme face au flic Jimmy-10-dollars (spoiler : il n’y en a pas). Éprouver la résistance dans mon geste avant de toucher le soleil, pas sûre d’être prête à parler, mais avec le plaisir de faire entrer cette hésitation dans le jeu, en la manifestant aux autres.

Le matériel attire les yeux, aussi. J’ai trouvé plus facile de poser des morceaux de phrases soignés avec les yeux rivés au soleil de parole plutôt qu’en regardant les autres joueuses.

Des contraintes de style

Il n’y a ni carac ni résolution dans les jeux de Milouch. Par contre, on a des contraintes narratives qui posent à chaque fois un style résolument « non-rôliste », proche d’une Clé des nuages ou d’un Pour la Reine.

Dans Vagabonder, chaque scène a la même forme imposée : on décrit l’ambiance de la gare, l’arrivée de notre personnage, et son regard qui croise celui d’un ou une figurante. Le hobo sort un objet de son sac (la joueuse tire un papier d’une enveloppe : l’objet est toujours accompagné d’une question à la manière d’une carte de Pour la Reine). On y répond et on décrit comment le hobo repart, quitte cette ville et vers où.

Dans La Grive noire, on est invitée à zoomer ou dézoomer sur ce qu’a dit la joueuse qui parlait avant nous, ou alors à rebondir par association d’idée, à broder sur un motif qu’elle a évoqué.

Ces règles découragent le discours direct, la scène au premier degré, la théâtralité. En revanche, elles introduisent de l’ellipse et de la distorsion : un séjour à Détroit est résumé en deux phrases, un échange de regard avec une figurante déploie tout un passé et tout un contexte. Dans La Grive noire, on peut zoomer sous l’écorce d’un arbre ou voir la surface du lac dans son ensemble, on peut évoquer tous les hivers qui se sont succédé ou revenir à cet été-là quand l’eau avait gelé.

Ces distorsions produisent le jeu poétique. Où l’émotion ne naît pas de l’incarnation d’un personnage dans une situation au présent, mais de sensations échangées, d’évocations picturales ou littéraires… bref de plaisir esthétique.

A rejouer pour explorer

Je ne dirai pas que ces jeux sont faciles, du genre à jouer chill-les-pieds-sous-la-table. Ils sont faciles à mettre en place, légers dans leurs règles et inspirants par le matériel et les sujets évoqués. Celui que j’ai lu (Vagabonder) est aussi très clair dans ses explications. Mais ils demandent d’avoir une certaine vibration pour le sujet de départ, amha, d’aimer jouer sous contraintes créatives, de pouvoir se coordonner avec les autres, de chercher une harmonie sous la fiction… ou du moins d’avoir envie d’aller vers ça.

Ca faisait un moment que je n’avais pas éprouvé cette sensation d’avoir une zone de progression devant moi, une possibilité d’amélioration qui me fasse vraiment envie (non pas que je sois parfaitement accomplie en tant que joueuse, mais depuis quelque temps je barbotte dans ma zone de confort en bouée canard et ça me convient bien).

De la vie des hobos, je ne connaissais que Personne ne gagne de Jack Black, une passionnante autobiographie d’un perceur de coffres repenti. Qui déploie pour ses lecteurices tout un monde de voleurs et criminels, d’escrocs et de putains, tenus par une sorte d’honneur (« on ne part pas sans payer notre nuit d’hôtel, on vole pour pouvoir la payer »). Le livre montrait aussi la dureté de cette vie-là, les sévices dans les pénitenciers, l’injustice des institutions, le rejet des bonnes gens. Mais ce n’est qu’une facette des hobos (la criminelle) et Milouch propose toute une liste de d’œuvres que j’ai hâte d’aller découvrir pour élargir le sujet… avec l’envie de rejouer une partie ensuite, enrichie de ces nouvelles références.

L’envie d’oser mettre un peu plus les pieds dans le plat aussi, de m’avancer sur les vies des autres hobos pour les lier à mon personnage, oser mettre les figurants entre nous… ce que Milouch a très joliment joué pendant notre partie et que j’aimerais réussir à faire aussi la prochaine fois.

Une tension qui émergé dans notre partie de La Grive noire, c’est une forme de compétition narrative entre cadres (les Profondeurs du lac prennent le dessus sur la Vase quand la joueuse décrit une pluie torrentielle qui nettoie complètement la falaise…) et de coopération aussi par moments (les Profondeurs du lac ont rejoint la Faigne autour du thème de la fertilité). J’ai envie de rejouer en maîtrisant mieux la façon de mettre en avant ces tensions tout en respectant l’équilibre fragile de poésie qu’on est en train de produire. J’y ai retrouvé une sensation que j’aime beaucoup en JDR et que j’assimile à des portés en acrobatie.

Outre que ces deux parties m’ont beaucoup plu, les deux jeux ont aussi ouvert pour moi ce pétillement d’exploration de style, un territoire juste à un pas de côté de ce que je joue d’habitude… et j’ai très envie de m’y replonger pour voir ce que je peux mieux maîtriser de tout ça la prochaine fois !

merci à Milouch, LamSon, Céline et Claude (pour la caution d’Andy et la barque sur le lac…)


Liminal de kF

Toi et moi bloque une heure, ou la moitié, 10 minutes à peu près. Toi et moi

C’est quoi une partie de Liminal ? Les deux-trois minutes d’une image, une situation, un « qu’est-ce que tu fais ? » ou même pas, ou est-ce que c’est l’enchaînement de celles-ci, le moment qui prend deux heures en fait.

C’est quoi Liminal ? Un texte-poème, une invitation, un dispositif, presque rien mais beau tu vois. Toi et moi, une musique, l’une parle et puis l’autre et puis l’une coupe la musique avant l’autre et voilà.

De l’aveu de kF, au départ il y a une volonté de jouer des idées qu’on a comme ça mais qui sont un peu casse-gueule alors on n’ose pas les placer dans une partie, ou qui sont un peu light et on ne sait pas trop quoi en tirer en fait… Dans la longue liste de nos échecs, on n’a parlé de Liminal comme d’un dispositif de déresponsabilisation : un shot dure entre 1 et 5 minutes, vazy fais un truc, si c’est nul on en fait un autre et même plein d’autres. Aucun shot n’a vocation à être mémorable, et parfois certains le seront et c’est tout.

Et puis on a utilisé Liminal pour se filouter l’une l’autre qu’est-ce que tu veux : si j’arrête la musique pour te confisquer la fin du shot, tu vas faire quoi ? et si c’est moi qui lance un shot ? et si tu me dis que je suis roi, moi je te dis je suis le comédien qui joue le roi, tu me dis ok va sur scène alors, je te dis je fais un malaise, tu l’auras pas mon monologue… et on coupe.

Et puis on a retenté récemment de façon un peu plus sage, et si je t’en parle c’est parce que je suis une grosse lectrice de nouvelles, et qu’a posteriori j’ai la très chouette sensation d’avoir joué un recueil, dont le sommaire serait celui-ci :

La cathédrale
Chill et cravate

Est-ce que tu as appelé maman ?
Pierre levée
Charon et le chien
La piscine 1 : Ce soir je suis cool

La piscine 2 : Not so cool
Cyberpunk
L’impératrice au piano
La piscine 3 : Saute
Poker
La mafia

La piscine 4 : Fog
Vendre la caravane
Le train des âmes
La fuite

Les espaces entre le shots correspondent à des pauses débriefs, où on revient sur les quelques shots joués. Nos échanges ressemblent énormément à deux lecteurices du même recueil qui se demandent « et celle-là t’en as pensé quoi ? ». Parce qu’après tout c’est pas fait pour être lu d’une traite un recueil, des fois tu enchaînes, des fois tu profites d’une fin pour prendre un peu de distance avec le bouquin, tu respires.

Et c’est la première fois pour moi que 2h de jeu produisent ce feeling-là. On a dit « le JDR peut tout faire », mais il fait beaucoup de la décalogie Bragelonne et de la série Netflix quand même. Quand soudain… la vibe toute particulière d’un recueil de Nina Allan.

APARTE NINA ALLAN

Quelqu’un a dit de Nina Allan que « ses récits se hantent mutuellement » et c’est exactement le feeling, notamment dans ses recueils Stardust et Complications. Une ambiance hyper particulière, des récits qui ne vont jamais où on l’on croit, des scènes qui peuvent rester en suspension sans explication… le rythme lui-même est unique, l’ambiance toujours chelou-bizarre, et puis on imagine plein de sens cachés dans les éléments qui réapparaissent en toile de fond d’une nouvelle à l’autre. Dans la galerie de portraits des impératrices du weird, il y a Nina Allan.

FIN DE L’APARTE

Tu sais, Liminal.

Je pense qu’une bonne part du feeling vient de la façon dont on a construit notre « recueil » à nous, sans le faire spécialement exprès, sans avoir de vision d’ensemble au début, mais en consolidant des trucs au fur et à mesure.

Il y a des juxtapositions qu’on percute pour la rupture de ton : une ambiance Elden Ring très forte en symboles, et juste après, le chill ultra-quotidien d’un retour d’entretien d’embauche par exemple.

Il y a des reprises de la même situation générale ou la même esthétique, qui forment des fils qui s’entrecroisent par moments :

  • La cathédrale est une cérémonie funèbre dans laquelle, entre autres, on voit un chien aux yeux fous ; puis un mort fait face à Charon et ce même chien pour rejoindre le pays des morts dans Charon et le chien.
  • La piscine, c’est une fête dans une villa façon springbreak : on joue d’abord deux cool kids en voiture qui s’y rendent, puis deux pas-si-cool kids qui peinent à y trouver leurs marques, puis l’injonction au cool qui empêche un moment de sincérité, puis l’attente de la police après un accident mortel. Plein de facettes d’une même fête, des tandems de personnages dont je suis toujours convaincue que ce sont les mêmes, alors que pour kF ils sont différents à chaque fois.

Il y a des motifs qui reviennent sans qu’on sache exactement ce que ça veut dire :

  • dans La mafia, les personnages s’appellent Diego-le-King, le Fossoyeur et la Chienne, en écho aux trois chevaliers de La cathédrale qui portaient une couronne, un cercueil ouvert et ce chien aux yeux fous.
  • l’irruption de la mort dans La piscine 4 est marquée par la musique, qui est la même que celle de Charon et le chien.
  • dans La fuite le personnage doit échapper aux flics qui bouclent le périmètre, j’y ai vu la suite directe de Cyberpunk (un casse qui tourne mal) et kF la suite de La mafia, car les autres s’appellent Diego, le Fossoyeur et la Chienne…

Et enfin il y a cette thématique qui irrigue la plupart des shots, à savoir la mort, ce qu’on a découvert à la fin. Avec quelques morceaux qui y échappent curieusement : L’impératrice au piano, La Pierre levée, Poker.

En terme de jeu et de rythme, là aussi on tente des variations : enchaîner des actions rapides avec l’œil sur le compte à rebours de la fin du morceau (Cyberpunk), ou couper bizarrement une scène parce que je n’ai pas vu venir la fin du morceau (La piscine 3), jouer un moment de respiration qui ne va nulle part (Chill & cravate), donner plus tard un sens au moment de respiration joué précédemment…

Et parce que je suis cap de frimer dans l’imperfection, autant mentionner aussi les difficultés rencontrées.

Des fois la musique tombe juste parfaitement, mais on a aussi loupé un paquet de virages de la bande son (moi surtout, vu que la musique et moi c’est… compliqué).

Sur les scènes de quotidien contemporain, je me découvre une certaine difficulté à sonner « juste » et à typer mon perso (va y avoir besoin de rééducation par le BASQ je ne vois que ça !).

Et surtout, cinq minutes max ça passe vite, il faut être efficace même dans le chill. J’étais capable de ça dans mes folles années d’impro, mais je me rends compte que c’est quelque chose que j’ai largement perdu aujourd’hui. Le rythme rôliste habituel est très différent de « définis qui tu es là tout de suite », « soit claire sur notre relation, pas de temps pour les devinettes », « tranche, décide-toi, va quelque part ». Autant dire que c’était pas la soirée des hold-ups et ça a donné des personnages souvent réduits à leur voix, des toi&moi plutôt que des noms… Et ça a produit des moments de flou fertile parfois, et puis des moments de confusion un peu dommages parfois.

Mais ça dure 1 min, 5 min et quoi ?

on coupe.


Weird de kF

Deuxième soubresaut post-mortem : j’ai envie de partager le feeling assez particulier de Weird, le dernier jeu de kF, qui ne me paraît pas si courant en Jidérie et que j’aime énormément.

Dans Weird, une joueuse joue la Voix (le personnage principal) et pose une situation de départ. Les autres joueuses jouent le Chœur (adversité, sensations, décors et figurants) et interviennent pour emmener le récit quelque part, une fois que la Voix a donné l’impulsion.

Des histoires intimes et bizarres

Les parties de Weird que j’ai pu jouer pourraient être résumées ainsi :

  • un enquêteur citadin, fatigué et obsessionnel, arrive dans un village pour rouvrir une vieille affaire de meurtres en série, alors qu’on vient de retrouver un nouveau corps.
  • une femme rentre du Japon après une absence de 15 ans pour l’enterrement de sa grand-mère, et retombe dans les filets de sa famille sectaire.
  • une femme à la mémoire instable se réveille au milieu d’une scène macabre et pense avoir tué son ami d’enfance.
  • une femme épuisée se lance dans une cavale nocturne sur l’autoroute avec son patron enfermé dans le coffre.

Dans chacune de ces histoires, le weird s’est introduit dans les perceptions de chaque personnage principal, ses obsessions et ses dénis, sa mémoire défaillante, son intense fatigue… et dans cette impression que tout tournait autour de lui ou d’elle, ou n’avait de sens que pour lui ou elle. Chacun était prisonnier de dynamiques qui lui étaient propres et le monde qui se déployait pour lui aurait eu une toute autre couleur s’il avait dû être décrit pour d’autres yeux.

Ce fantastique extrêmement intime, ce regard unique et non fiable posé sur le monde, me paraît difficile impossible à réaliser quand il y a plusieurs personnages en jeu. Or, contrairement au jeu vidéo, au cinéma ou à la littérature, il me semble que le JDR produit assez peu de fictions qui tournent autour d’un unique personnage.

Pour la nuance, je reconnais que c’est quelque chose qu’on retrouve surtout dans les jeux à deux ou les jeux solo. Mais dès qu’on joue à trois personnes ou plus, plusieurs personnages prennent fatalement la lumière. Même Bluebeard’s Bride ou Girl underground, qui tournent autour d’un personnage unique, recréent une dynamique de groupe de PJ en le partageant entre plusieurs joueuses (qu’elles incarnent chacune une facette de la Fiancée de Barbe Bleue ou les compagnons de la Petite Fille).

Une dynamique particulière

Partager la charge de MJ pour une joueuse unique a quelque chose qui m’évoque beaucoup la complicité de l’organisation d’un anniversaire surprise.

J’avais déjà goûté le « seul contre tous » dans Perdus sous la pluie, où à chaque tour, tout le monde est MJ pour la joueuse dont c’est le tour. Dans certains jeux sans MJ découpés en scènes, comme Inflorenza, Fiasco ou Bois Dormant (dans des genres très différents) là aussi, à chaque tour, les joueuses peuvent incarner une adversité, un décor, un PNJ pour celle qui est au centre… mais dans tous ces jeux, la dynamique n’a pas cette asymétrie particulière du jeu avec MJ : les rôles tournent, chaque joueuse a son personnage par ailleurs, et il y a une certaine réciprocité en jeu. Le collectif se joue à l’échelle de la table, pas de la-table-moins-un.

Or, l’asymétrie de Weird est fixe : pour toute la partie, une seule joueuse incarne le personnage principal et toutes les autres incarnent « tout le reste » pour elle.

Dans mes parties en ligne, les joueuses qui jouaient le Chœur communiquaient dans un tchat à part pour s’assurer qu’elles étaient sur la même longueur d’onde. IRL, nous nous sommes contentées de jeter un œil aux secrets partagés sur un petit papier, que la Voix ne pouvait pas lire.

J’ai pris le pli de proposer qu’aux deux tiers de la partie, on fasse une pause de 5min pendant laquelle le Chœur se concerte de son côté pour décider ensemble des réponses aux secrets, de ce que cachent les zones d’ombre et d’où va cette histoire.

Il y a quelque chose d’extrêmement plaisant à mettre en commun nos idées, à partager la responsabilité des réponses, et à les faire deviner ensemble à une tierce personne. Et ce dispositif d’un PJ pour plusieurs MJ est assez rare en Jidérie pour que je ne tombe dessus que très récemment, avec Weird, mais aussi Sonja et Conan contre les ninjas, ou encore une magnifique partie de Cités Abîmées (un jeu de Côme Martin dont je te reparlerai).

Cela produit une dynamique qui s’éloigne à la fois de la réciprocité du jeu sans MJ (ou tous MJ) et de ce twist relationnel du jeu traditionnel, où un MJ est à la fois Dieu et martyr, l’autorité et l’abnégation. A la place, voici donc l’anniversaire surprise… parfaitement.

Déresponsabilisation créative

Le concept est de kF, qui l’avait mis à plat au moment de la création de La Clé des nuages. En gros, il s’agit de regarder ce qui permet à chacune de se dédouaner de la qualité de ce qu’on crée, pour lever d’éventuels blocages créatifs.

Par exemple, dans Weird c’est la Voix qui pose l’impulsion, la situation de départ. Mais elle n’est pas responsable de ce qui arrive ensuite, de l’histoire qu’on va raconter. Elle cadre le début puis incarne simplement personnage et suit le mouvement. De l’autre côté, le Chœur rassemble plusieurs joueuses, donc il est plus facile d’y intervenir comme on le souhaite et quand on le souhaite, en comptant sur les autres pour assurer quand on n’est pas inspirée. Et surtout, le Chœur n’a pas élaboré l’histoire en amont, il prend petit à petit le train en marche, il fait avec ce que la Voix a apporté de son côté.

Même chose pour les mystères. Bien que son rôle ressemble à celui d’un MJ, le Chœur n’est pas responsable de trouver des secrets intéressants / profonds / merveilleux à fournir au personnage pour le bien de l’histoire. C’est souvent la Voix qui formule un mystère en rédigeant simplement une question sur un post-it posé sur la table : « que s’est-il passé ? » ou « pourquoi Bélina ne m’aide pas ? ». Et le Chœur peut y écrire la réponse au dos, de façon cachée. La Voix sait alors qu’une réponse à sa question « existe », que cet élément est fixé et qu’elle pourra le découvrir dans la fiction. Ça devient un secret, qui vient d’émerger presque naturellement, et dont la compréhension (ou pas) servira de fil directeur dans la partie.

J’ajoute que petit à petit, il y a un jeu de tension qui s’installe dans cette répartition bizarre des responsabilités : le Chœur commence à stabiliser un ou deux secrets, une version du réel qu’il tente de faire entrevoir à la Voix. Mais il n’a pas le pouvoir d’un MJ, il n’est pas responsable du rythme, du cadrage des scènes… il n’a pas la main pour agir, seulement pour décrire et réagir. C’est la Voix qui dit où commence chaque prochaine scène, où elle veut aller. Au Chœur d’envoyer des messages (comme faire sonner un téléphone, introduire un PNJ) pour guider la Voix vers ses réponses.

Un jeu de petites voix

Weird est un jeu construit autour de parties de la mafia esthétique. Il est fait pour célébrer un style qu’on ne peut pas s’empêcher de jouer ensemble, qui fait la part belle à des interventions proches d’un style indirect libre rôliste.

Dans mes parties de Weird, parce que la Voix est unique et le Chœur est pluriel, il y a une facilité à jouer des « petites voix », des adresses au personnage dont on ne sait pas trop si ce sont ses propres tiraillements intérieurs qui s’expriment, des questions ou des commentaires de joueuses ou d’un narrateur omniscient… « tu sais même pas où tu es », « qu’est-ce que tu vas faire de lui ? ».

Ces petites voix jouent avec la frontière poreuse entre le personnage et le monde, et entretiennent une zone de flou qui est habituellement assez touchy en Jidérie. Les questionnements autour de qui est responsable de quoi sont un marronnier rôliste : est-ce qu’un MJ peut décréter qu’un PJ a peur ou est-ce que ça appartient à la joueuse ? Est-ce qu’un MJ peut décrire des sensations physiques qu’on attribue à la peur ? Est-ce qu’il peut décrire des réactions réflexes d’un PJ en proie à la peur ? Zone touchy. Selon les chapelles, les styles de maîtrise et le jeu des joueuses, on peut ou pas.

Dans Weird on met clairement les pieds de chaque côté de la ligne et c’est un plaisir assez particulier, que je n’avais éprouvé jusqu’ici que dans des jeux à deux où les joueuses se partagent le personnage à tour de rôle comme Dévoyée ou Mort à Venise. Partager un petit bout du personnage alors qu’on est en situation de le malmener, ça provoque chez moi un attachement profond et une empathie particulièrement intense.

Voilà, j’ai joué à Weird et non seulement j’aime beaucoup mais je n’ai pas fini de l’explorer.


La Cour Corbelle de Thomas Munier

Un petit soubresaut de blog pour évoquer une très chouette expérience jouée cette année : j’ai eu la chance de jouer une partie et demie de La Cour Corbelle proposée par Thomas Munier. A ce stade, le jeu est à l’état de notes, je ne sais pas s’il est jouable par un autre MJ que Thomas, mais si ça peut donner envie à certains ou certaines de s’en emparer, c’est cadeau c’est bonheur !

Une invitation à la Cour Corbelle

La guerre des Grours contre les humains a pris un tour particulièrement méchant et les Corax ont décidé de réunir les représentants de toutes leurs philosophies pour voter la participation ou non des Corax à la guerre, et de quel côté et dans quel but.

Le fonctionnement de la Cour Corbelle implique l’invitation de citoyens lambda de toutes les obédiences, choisis ou tirés au sort, pour une nuit où ils pourront rencontrer les représentants. Ces citoyens sont libres et peuvent simplement profiter de la fête, ou poursuivre un but très personnel, ou s’impliquer dans les relations diplomatiques, ou tenter de changer les votes…

Les PJ sont ces citoyens.

La Cour Corbelle est pensé comme un Bac à Sable du Quotidien : un bac à sable dans lequel les PJ peuvent aller vers ce qui les intéresse, sans aucun panneau indicateur car il n’y a pas spécialement d’histoire à raconter. Juste vivre une nuit dans une réalité virtuelle, une nuit d’ivresse et de faste, parmi les oiseaux, les ours, les goupils et les humains.

La Cour Corbelle n’a pas de système de résolution, à la manière du JDR sans règles : la logique fictionnelle fait foi, et l’absence officielle d’intention du MJ (il n’y a pas d’histoire, pas de direction vers laquelle emmener les PJ) est un garde-fou pour la liberté des joueuses.

Une liberté particulière, mais pas feinte

Pour la petite histoire, j’ai joué deux fois à La Cour Corbelle.

La première fois, nous étions 3 joueurs et joueuses et avons passé un certain temps sur la création de personnages (très chouette) et je me suis… endormie après un court temps de jeu, alors que nos PJ arrivaient à la salle de bal. Rien à voir avec de l’ennui ou quoi, j’étais simplement épuisée. J’en suis encore bien désolée pour l’abandon de mes camarades, j’aurais adoré jouer cette partie avec eux en entier. Elle a été apparemment fabuleuse.

La 2e fois, nous étions 3 joueurs et joueuses encore (mais pas les mêmes), nous avons été beaucoup plus rapides sur la création (et j’ai repris le même personnage) et la partie a été là aussi fabuleuse. Mais au fond assez différente de ce que j’avais commencé à jouer précédemment.

Et c’est un point qui me paraît important de souligner : à la manière d’un bac-à-sable en jeu vidéo, la Cour Corbelle était sensiblement la même, à une poignée de détails près, certains dialogues étaient quasiment identiques car nous avons interagi de la même façon avec les mêmes PNJ, le déroulé global de la fête et du fonctionnement des votes était le même. Mon propre personnage était le même. Mais les autres PJ étaient différents, ont impulsé une dynamique différente (entre nous et vis-à-vis de la Cour) et ont entrainé des choix différents.

Dans ma première partie, un PJ général Grours ayant perdu tous ses fils à la guerre s’est particulièrement impliqué dans la diplomatie et les intrigues politiques, rendant très prégnants la violence, l’amertume, la réalité d’une guerre qui remonte jusqu’à la Cour. Le thème était dans le jeu en filigrane, mais c’est lui qui l’a mis sous la lumière.

Dans ma 2e partie, un PJ érudit Grours pataud et sympathique a donné à la partie une dimension à la fois embarrassante et drôle, avec des relations de Cour et des philosophades évoquant plutôt le panier de crabes universitaires que le destin militaire. Là aussi les accroches au protocole, la perfidie de Cour et la philosophie sont des thèmes du jeu, mais c’est ce personnage qui les a provoqués dans la partie, de par ses réactions balourdes et ses propres intentions.

Une particularité d’un bac à sable du quotidien, c’est la garantie que les choses pré-existent à l’arrivée des PJ. Nous étions coincés dans un huis clos particulièrement riche, impossible à saisir en une seule partie, et nos choix nous ont permis d’en découvrir des facettes très différentes.

La liberté dont je parle n’est pas celle de renverser la table, de changer le monde d’un coup de dés, ou d’imposer un virage radical dans une histoire en train de se raconter. Mais nous avions la liberté de nos actes et le respect de nos intentions à défaut de la garantie d’un impact majeur sur l’univers.

J’ai pu choisir où aller et avec qui parler, et le fait d’y jouer deux fois de suite m’a montré que le MJ ne trichait pas en nous recollant les mêmes PNJ sous le nez où qu’on aille, et ne changeait pas non plus les PNJ de place/de thème pour varier d’une partie à l’autre. L’univers était stable. A nous de bouger dedans.

J’ai pu choisir deux fois de suite de ne pas m’impliquer dans ces histoires de votes et de guerre, d’émissaires et de représentants, sans qu’on me fasse sentir que je passais à côté de l’expérience. J’ai pu rencontrer un chirurgien cinglé, tergiverser sur ma propre nature (suis-je une humaine ou un corbeau ? mon corps mérite-t-il d’être choyé ?) sauver une personne qui avait pris soin de moi et me réconcilier avec moi-même. Tout cela a été fort intense et tout cela m’appartenait.

Et à aucun moment je n’ai été invitée à revenir dans les clous (car il n’y avait pas de clous et c’était officiel) ou à rejoindre un minivan.

Un JDR à la manière d’un roman naturaliste du XIXe

Un aspect particulièrement original de La Cour Corbelle, et qui en fait à mon avis le très grand intérêt, c’est le style choisi par Thomas dans sa maîtrise.

La Cour Corbelle est un festival de description. Pas de haut potentiel ludique ici, mais des tableaux extrêmement détaillés, ou ces longues descriptions des romans du XIXe, qui s’attardent sur les éclats de lumière des gouttes d’une fontaine et des coupes de cristal, sur toutes ces tenues extravagantes, dans leur variété de coupes, de tissus, de boutons ou de rubans, sur les coiffures et les plumages, les dorures, etc. Certaine parlerait de description-porn.

Pour une joueuse narrativo-vegan en goguette, je ne cache pas qu’il y a eu un pli à prendre pour accueillir le truc. Sur la première partie, il m’a fallu du temps pour entrer dans le rythme particulier de ces échanges, où le MJ prend un temps infini de description et le reprend encore et encore, à chaque fois que les personnages posent les yeux sur une nouvelle merveille à découvrir. La première demi-heure de jeu a été presque douloureuse, à attendre qu’on me rende la parole à chaque fois, à vouloir que ce flot s’abrège.

Et puis je me suis laissée séduire par ces volumes d’échanges asymétriques (le MJ parle beaucoup et les joueuses assez peu en comparaison) parce que l’action elle-même était lente. Il ne s’agissait pas de voir une narration se dérouler sous nos yeux sans pouvoir intervenir, ce qui m’aurait fait suffoquer, mais de regarder se déployer un univers particulièrement précis et riche, qui nous attendait pour qu’on interagisse avec lui.

Sur la 2e partie, j’étais préparée à ce rythme-là et j’en ai profité dès le début, tout en voyant un autre joueur éprouver exactement les mêmes difficultés que ma première fois. Et se faire apprivoiser à son tour.

Cette déstabilisation de joueuse m’a fait réaliser que dans mes cercles, la volubilité d’un MJ n’est pas valorisée. Il semble aller de soi qu’être MJ c’est déjà prendre beaucoup (voire trop) de place et qu’il faut essayer de faire court et efficace, pour laisser au maximum la main aux joueuses. Je trouve intéressant de noter que, quand elle est maîtrisée, quand elle correspond à une ambiance particulière et qu’elle ne confisque pas la narration ni ne contraint les choix des joueuses, cette disproportion de description peut être absolument plaisante.

Et elle implique un style partagé. Puisque notre fenêtre de parole à nous joueuses est réduite, nous avons spontannément mobilisé un certain style d’interactions :

  • Jouer avec nos corps : de fait, nous avons spontanément pris des postures, échangé des regards ou fait des gestes qui étaient clairement ceux de nos personnages. Sans forcément tomber dans le GN, mais en incarnant un peu plus (parfois beaucoup plus) que ce nous faisions habituellement en JDR ;
  • Ponctuer les descriptions de réactions très claires et courtes, façon sniper ;
  • Savourer les dialogues : le dialogue en discours direct étant le moment où le ping-pong retrouve sa symétrie, puisque chacun parle autant que son perso, PJ ou PNJ, ce temps-là avait une saveur toute particulière.

Ce qui amène aussi de très beaux moments presque théâtraux, où après un coup d’œil fictionnel qui s’étire le temps d’une longue description à la table, joueuses et personnages se superposent totalement le temps d’un dialogue, puis à nouveau le temps s’étire, etc. Et cette alternance joue à mon avis énormément dans les très belles sensations et l’originalité que j’ai trouvées dans ces parties.

Voilà, j’ai joué à La Cour Corbelle et j’ai beaucoup aimé.


PbtA Participatif (CR)

Une partie expérimentale proposée par kF, dont le principe est simple : chaque joueuse ramène un playbook d’un jeu Powered by the Apocalypse (PbtA, un dérivé d’Apocalypse World) ou un jeu Belonging Outside Belonging (BoB, dérivé de Dream Askew) et on essaie de jouer ensemble sans se concerter en amont.

La partie a été un beau succès pour moi, j’ai beaucoup aimé la façon dont des univers différents se percutaient sans virer au gonzo, j’ai beaucoup aimé les relations entre nos persos et la façon dont on s’appuyait sur un move issu d’un jeu ou un autre selon les situations… J’en fais ici un bref compte-rendu pour garder une trace. Je pense qu’on essaiera de reproduire l’expérience en croisant d’autres univers et en (se) préparant peut-être un chouia plus, notamment pour maîtriser chacune un peu mieux les moves de base du jeu dont provient notre playbook.

Le contexte

On était 4, et 3 d’entre nous avions joué une partie de Nahual la veille (ça aura son importance).

Dans le doute, on avait ramené différents livrets. Il y avait du Pasion de las pasiones, De bile et d’acier, Girl undergound, Dominion, Bois Dormant, Dirty Little Town, Apocalypse World, Nahual, Monsterhearts, Velvet Glove… et j’en oublie.

J’ai choisi le Biker d’Apocalypse World et gardé le livret du Jaguar de Nahual sous la main… au cas où. Une joueuse a pris la Maniac de Velvet Glove (Ange), une autre le Vampire de Monsterhearts (Clayton), une autre enfin a créée deux jumelles, mi-Maîtresse Espionne de Dominion, mi-Serpiente de Nahual (Lura & Yalu).

Sur la table, on avait également la liste des moves de Monsterhearts et de Nahual. Et cet incroyable bot de création de moves aléatoires, que nous n’avons pas utilisé finalement. La feuille des moves principaux d’Apocalypse World aurait été bienvenue aussi, c’est noté pour une prochaine fois.

Worldbuilding et persos

On a rempli nos livrets sans se concerter. Le perso que j’ai créé était très similaire à celui joué la veille, jusque dans les prénoms (Rose pour la bikeuse, Rosario pour le Jaguar).

La joueuse de Clayton a posé sur la table un morceau de feuille correspondant à son Manoir comme le Domaine/Cadre d’un BoB. J’ai déchiré la partie de mon playbook correspondant à mon Gang et ma Bécane et fait pareil. Ce qui nous a amenées chacune à esquisser une ambiance un peu bizarre de château gothique assiégé par un gang de bikeuses auto-proclamé les Archanges, qui chassent les créatures de la nuit. Les deux autres joueuses ont aussitôt rejoint le gang (Yalu mon bras droit, et Ange la petite dernière).

On est passé aux relations, en se posant les traditionnelles questions de nos livrets. Tout matchait impeccable.

Clayton a fait partie du gang au tout début, et l’a quitté (ou s’est fait virer) quand Rose a compris que c’était un vampire.

Ange et Lura se sont introduites dans le manoir pour voler des trucs. Quand elles se sont fait surprendre, Lura a balancé Ange qui s’est retrouvée à l’hosto, et s’est fiancée à Clayton.

Yalu (qui déteste sa sœur jumelle) a aidé Ange à se sortir de l’hôpital, des questions des flics et de l’attention des services sociaux.

Elle a aussi poussé Rose à buter Goldie son ancienne seconde pour piquer la place. Rose s’en doute, mais préfère garder Yalu près d’elle pour contrôler un peu les emmerdes.

Ange a pété le nez de Rose dans une rixe de bar, c’est comme ça qu’elle a intégré le gang, Rose se découvrant une affection pour le cran de la gamine.

Yalu vit dans une station de métro abandonnée qui jouxte le manoir. Et qui communique avec les oubliettes, où dorment de vieux vampires qui ne sortent plus du tout. Elle y a pris soin de Clayton pendant un temps.

Le gang a fini d’écumer la région et a planté la dernière goule sur une porte. Il reste le manoir…

Le dispositif

On n’a pas exactement de MJ mais une joueuse propose de prendre la responsabilité de l’univers en plus de son PJ, comme si c’était l’ensemble des cadres d’un BoB. Elle précise de ne pas hésiter à nous emparer des aspects du monde qui nous bottent, au fur et à mesure de la partie. 

Machinalement on se retrouve à jouer un peu comme à Bois Dormant : si une joueuse a une idée, elle se lance pour cadrer une scène, sans ordre particulier ni tour de jeu.

On mobilise des moves à l’envi et, sans qu’on ait eu besoin de le préciser, c’est toujours une autre personne que la joueuse concernée qui interprète le résultat d’un 6-.

La partie

[Pour la retranscription, j’essaie de noter en jaune les moves qui appartiennent à Nahual, en vert les moves qui appartiennent à Velvet glove, et en rouge les moves de Monsterhearts. J’ai noté en italiques certains éléments issus des livrets. Il manque les mentions des coches de stress, d’xp, et les attaches… mais mes souvenirs sont trop flous. Néanmoins, tout ça a été utilisé.]

Clayton a garé sa Rolls Royce au milieu du bivouac du gang. Un peu à l’écart, il se nourrit sur Yalu. Il ne la voit pas enfiler d’une main un masque de serpent. Elle appelle son Nahual et sonde les émotions du vampire. Elle perçoit l’affadissement général et l’ennui qui le gagnent ces derniers temps. Elle lui demande s’il a déjà transformé sa sœur. Il lui annonce que oui, c’est elle qui l’a demandé. Il a soudain la vision d’un sang vif, frais et pur, une éclaboussure contre un mur, une flaque qui se répand sur le sol.

Rose abat sa barre à mine sur la rolls de Clayton au moment où il revient, histoire de faire passer un message. Elle lui ordonne de jamais refoutre les pieds ici. Il ne se laisse pas impressionner et dans la proximité de leur face à face, elle avoue qu’elle aurait dû le tuer il y a longtemps mais qu’elle ne peut pas s’y résoudre.

Ange s’est fait alpaguer par le mec d’une boutique de spiritueux et elle se débat pendant que ses copines dévalisent le magasin dans son dos. Dehors, dans un ronronnement croissant, plusieurs motos s’arrêtent devant la boutique. Ange sort son poing américain et frappe, mais elle se prend une mandale en retour qui lui cogne la tête contre le carrelage. Un sang vif, frais et pur a éclaboussé le mur et se répand sur le sol. Dans le brouillard, elle entend les protestations de ses copines, le vrombissement des moteurs. Elle sent qu’on la colle en travers d’une bécane et rideau.

[Pack Alpha, un move spécial de Biker] Barb a ramené Ange devant Rose et réclame un exemple. Rose se contente de lui passer un savon. Ange vire ses deux copines et se tire pour pleurer loin des regards.

Clayton surgit de nulle part, princier, avec deux coupes de vin. Ange lui arrache sa bouteille et boit au goulot. Elle tente de l’embrasser. Il va pour la repousser mais fixe le sang sur ses poings.

– Alors tu te décides ?

– ?

– Tu m’embrasses ou tu me tues ?

Quand il s’en va, elle boit sa coupe, avec plus de délicatesse qu’elle n’en a montré jusqu’ici.

Au plus profond du manoir, il y a une pièce sombre appelée le Conclave. Et derrière encore, il y a celle dans laquelle le Sénéchal joue une partie d’échecs.

Yalu s’adresse à Rose devant les bikeuses. Un discours belliqueux et galvanisant que Rose aurait aimé éviter. Elle ne peut plus dévier la menace sur un loup-garou, une goule ou un autre bouc-émissaire comme elle l’a fait jusqu’ici. Pour ne pas perdre son autorité, elle annonce que ce matin, elles vont chasser du vampire ! Et elle enfile son casque, constellé de taches de jaguar [je switche avec le livret du Jaguar de Nahual]

Ange réclame un casque à Barb qui la renvoie bouler. Elle le lui vole dans un moment d’inattention. Quand elle l’enfile, [la joueuse d’Ange prend le livret du Perro, qu’on appellera Coyote ensuite] le monde déploie de toutes nouvelles sensations. Elle appelle le Coyote à elle et file à pieds, à la même vitesse que les motos.

Yalu s’est engagée à leur ouvrir la porte de l’intérieur. Elle passe par la station de métro abandonnée, les oubliettes où des yeux s’ouvrent dans le noir. Mais elle porte la marque de Clayton qui s’est nourri sur elle alors aucun vieux vampire ne la touche. Elle découvre que Clayton s’est tiré et qu’il a laissé Lura assise sur un l’un des hauts sièges, hébétée par sa récente transformation.

Dans la petite pièce derrière le Conclave, une main a fait roquer la Tour et le Roi.

Yalu entrouvre la grande porte et annonce à Rose que Clayton n’est pas là mais qu’il reste un vampire à buter.

[La joueuse de Clayton attrape le livret de La Monstruosité]. Dans le dos de Yalu, on entend comme un pas extrêmement lourd et le sol tremble. Le gang déboule à moto dans l’immense salle de bal du manoir. Dans la lumière des lustres et des bougies, une petite silhouette semble terrifiée. Rosario l’aligne avec son arbalète. La silhouette se révèle être Lura, qui bafouille qu’elle ne comprend pas… Elle tend la main pour réclamer de l’aide et fait encore un pas. Le sol tremble sous son poids et son ombre est immense… Rosario tire sans broncher, et vise le coeur. [Apex predator du Jaguar : en nous basant sur le système de dégâts de Nahual, on coche toutes les cases de l’Aqualung de la Monstruosité]. L’ombre s’écaille sur les murs et tombe en poussière comme une peinture trop vieille.

Le carreau s’est fiché dans la poitrine de Lura, et Yalu la rattrape au vol quand elle s’effondre. Elle prend sa sœur dans ses bras : « Je suis si heureuse d’être là pour te regarder mourir ». Et elle pense fort à Clayton, qu’il sache ce qu’elle a fait.

Pendant ce temps, Rosario hèle Ange pour descendre au caveau. Ange relâche le Coyote et file à la suite d’une odeur… pendant que l’illusion se dissipe et les bikeuses réalisent que Clayton les a dupées, la salle de bal est réalité une ancienne petite église aux marges du manoir… Barb attrape un jerrican d’essence et commence à tout arroser « vu que l’endroit est maudit ».

Les flammes s’élèvent. Yalu enterre sa sœur dans le petit cimetière attenant à l’église. Puis, parmi les croix et les stèles effacées, elle en choisit une sur laquelle elle prend le temps de graver la silhouette d’un oiseau, prédateur du serpent.

Ange est coincée dans le casque de Coyote. Malgré elle, elle fonce vers le vrai manoir, passe à travers la grille et déboule dans le hall. Clayton l’accueille en haut d’un escalier d’apparat surmonté d’un tableau représentant un corbeau. Elle réussit à s’arracher le casque qui va rouler au loin (et finit sa course aux pieds de Barb, près de l’église en flammes).

Ange réclame la jeunesse éternelle pour jamais devenir comme Rose et les autres. Clayton lui propose de rencontrer ceux qui peuvent la lui offrir. Au plus profond du manoir, il y a une porte surmontée des mots « Le Conclave ». À l’intérieur c’est le noir total. Les voix des vieux vampires la jaugent. Lui demandent ce qu’elle a à offrir pour ne pas vieillir. Réclament qu’elle revienne avec le cœur de Rose comme preuve de sa bonne volonté. Ange s’enfuit.

Appuyée à sa bécane, Rosario ouvre les portes de la perception pour retrouver Ange ou Clayton. Elle se retrouve elle aussi jugée dans le noir par le Conclave. Elle sait désormais qu’il y a une pièce derrière celle-ci où un joueur d’échec tire les ficelles. C’est lui le véritable ennemi. [je coche la condition « Hantée »].

Yalu se fait un fix de poudre d’ange pour regarder dans l’Abysse. Elle se retrouve dans le noir, oppressée, ses mains griffant la terre au-dessus d’elle. Elle entend la voix de sa sœur lui dire « Je suis si heureuse de te regarder mourir ». Elle a de la terre dans la bouche, elle étouffe. Elle réalise ce que « immortelle » veut dire pour Lura désormais…

Rosario fonce vers le vrai manoir. Elle rejoint la Rolls Royce de Clayton et les bikeuses l’encerclent.

Puis, sans se préoccuper de back-up elle fonce seule vers le vrai manoir. A l’approche de la grille d’entrée, elle saute de sa moto et l’escalade avec une souplesse improbable et retombe de l’autre côté. Elle est déjà repartie quand la moto explose la grille.

Clayton rejoint Yalu près de la tombe de sa soeur. Il prend soin d’elle et boit son sang, qui contient encore la poudre d’ange. Clayton à son tour a des hallucinations et un moment de plaisir. Avec Yalu, il entre dans le manoir et son regard s’arrête sur l’étrange masque de corbeau au-dessus de la porte. [la joueuse de Clayton prend le livret de l’Aigle de Nahual]

A l’intérieur du manoir, Ange est vénère. Elle a finit par trouver une cuisine et ouvert le gaz à fond. Rosario la récupère en train de rager contre un briquet qui refuse de s’allumer. « Tu comprends pas, Rose ! Ils voulaient te tuer ! Ils voulaient te tuer ! ». Rosario la jette sur son épaule et court en sens inverse. « Quand on ouvre le gaz, on jette le briquet par une fenêtre depuis l’extérieur, andouille ! ». Mais le briquet finit par claquer une étincelle. L’explosion les projette dehors toutes les deux.

Le manoir tremble sur ses bases et toute une partie s’affaisse. Rose éclate d’un rire nerveux en enlaçant Ange, Ange éclate en sanglots en s’agrippant à Rose.

Sur les décombres du manoir, Clayton, qui a désormais une tête de corbeau, allume une cigarette et regarde s’éloigner le gang de bikeuses.

Dans la petite pièce derrière le Conclave, le plateau d’échec a été ébranlé. Une main époussette les cases, un souffle efface la poussière sur les pièces. Le cavalier blanc perd ses taches de jaguar. Le cavalier noir conserve ses plumes corbeau. Et le Sénéchal les dispose une à une, pour une nouvelle partie à venir.


Libreté

libreté

 

Ce n’est pas tous les jours que je te fais l’éloge d’un jeu. Enfin, d’un jeu qui ne serait pas de Thomas Munier veux-je dire… Comme quoi, avec la maturité, l’expérience, la jeune Eugénie se diversifie comme groupie.

Tu ne l’ignores pas (ou alors mais t’étais où ?) le financement participatif pour Libreté a été lancé cette semaine. Comme on vient tout juste de finir la campagne test avec Vivien « Mangelune » Féasson himself, j’en profite pour te faire un retour presqu’à chaud, ça sera ma façon de participer au spam ambiant. Je ne suis pas très familière avec l’exercice de la critique, d’autres s’y sont déjà livrés avec plus d’élégance que je ne saurais faire, et je ne comptais pas tellement faire dans la mesure et l’analyse, alors considérons que c’est plutôt un débrief de joueuse après une série de parties qu’elle a kiffées. Lire la suite


En direct de Pyongyang

CNN Center

Comme plusieurs bouches venimeuses (et aigries) (et mesquines) (et méchantes) (et.. et vilaines) me reprochent de me contenter d’un « je suis vivante » alors que même Du bruit derrière le paravent recommence à produire des billets, trop trop la honte Eugénie, voilà une tranche épaisse de « je te raconte ma vie et mes parties », autant dire que tu vas pas regretter le voyage. Lire la suite


Dragonfly Motel 2 (CR)

Trail 50 Motel

Oui, mais j’avais prévenu que ça serait festival… Voici donc un compte-rendu d’une nouvelle partie de Dragonfly motel, un jeu de Thomas Munier. Lire la suite


L’autoroute des larmes (CR)

Autoroute des larmes

Un faisceau d’indices tendent à établir que je suis une maniaque obsessionnelle d’un seul jeu, Inflorenza de Thomas Munier. Je nie en bloc. Je joue aussi à d’autres jeux, et j’aurais bien voulu en découvrir de nouveaux cet été, mais le hasard et les envies de la table ont fait qu’on a joué essentiellement à Inflorenza. Je n’y suis pour rien, je promets. Lire la suite