Rédiger un jeu 1

L’oral et l’écrit

Quelques trucs&astuces en terme de style quand on rédige un jeu ! 

Disclaimer 1 : c’est beaucoup mes goûts à moi de lectrice, et je ne suis pas une lectrice de JDR à la base. Néanmoins, je suis persuadée que les questions valent toujours la peine d’être posées. Les réponses en revanche elles t’appartiennent. Quand il s’agit de style, je suis convaincue que tout peut faire exception si ça coule bien.

Disclaimer 2 : Les exemples que je donne viennent de textes des copaines avec qui j’ai travaillé (Côme, kF, Melville, Milouch, Thomas) donc essentiellement de la collection Jydérie (mais pas que) que je codirige. Voilà les conflits d’intérêts sont posés, ceci est une pub éhontée !

Passer de l’oral à l’écrit

On ne va pas se mentir, l’oral est central dans notre pratique. C’est la base de l’activité, à quelques exceptions près (Alice is missing de Spenser Starke) et de tous nos cousins du RP écrit ou du solo journaling… mais bref : dans ma pratique, on a l’habitude de travailler l’oral. Et ça a une influence sur le style qu’on adopte à l’écrit en Jidérie : ce qu’on produit quand on est auteurice et ce qu’on perçoit comme « normal » ou « transparent » quand on est lecteurice de JDR.

Ce n’est pas une question de registre de langue qui ne serait pas assez soutenu, mais plutôt qu’il y a une différence entre s’adresser en différé à une lectrice dont on ne sait pas si elle va jouer ensuite au jeu, ni quel rôle elle voudra y tenir (MJ ou joueuse, facilitatrice ou non) et s’adresser à une table déjà constituée juste avant de jouer. Et on a spontanément tendance à rédiger comme si on était dans la 2nde situation, et à conserver certains réflexes, des habitudes éparses liées à l’oralité qui fonctionnent moins bien à l’écrit.

Il me semble que l’efficacité ou la clarté ne s’obtiennent pas de la même façon à l’oral et à l’écrit.

Ou alors fais-le avec style : dans 2 étés Côme Martin utilise un registre d’ado des années 90 qui écrirait comme il parle ; dans Exploirateurs de bruines Vivien Féasson utilise le ton d’un gaminot qui s’adresserait à d’autres pendant une veillée, entre argot enfantin et registre propre aux contes.

À qui s’adresse le « tu » ou « vous »

C’est quelque chose de récurrent dans les jeux que j’ai pu relire : le « vous » a tendance à glisser dans un paragraphe ou un autre, et il désigne parfois toute la table, parfois la meneuse, parfois les joueuses, sans que ce soit ni maîtrisé ni balisé.

Personnellement, je milite pour une forme de non-binarité rôliste : ne pas présupposer que la personne qui lit sera joueuse ou meneuse et s’adresser à une lectrice avant tout, en lui laissant l’espace de choisir quel rôle elle investira. C’est ce que fait kF dans La Clé des nuages en utilisant des tournures impersonnelles : « L’Image choisit deux clés […]. Le Mage imagine la quête qu’il poursuit […]. » Ou ce que nous avons longuement travaillé dans Marchebranche (à venir) avec Thomas Munier : « Confidence interprète le décor et les figurants, les joueuses interprètent leurs personnages. »

Il y a des exceptions où l’adresse aux joueuses ou à la meneuse fonctionne bien. Pour tout ce qui est « conseils » par exemple, l’incarnation d’un « je » qui s’adresse à un « vous » sonne souvent bien. Vous en trouverez dans Marchebranche et aussi dans La Grive noire (à venir) de Milouch.

Et puis parfois (mais parfois seulement) ce « tu/vous » fonctionne super bien sur tout un texte, parce que ça coule comme ça, et je ne saurais pas expliquer pourquoi. C’est le cas de Bois Dormant de Melville, où on a surtout fait attention aux alternances entre un « tu » qui s’adresse à la lectrice et un « vous » qui désigne les joueuses. Peut-être parce qu’il y en a assez peu, et que Melville adopte ici un ton qui encourage à l’auto-organisation, et qui guide sans injonction ?

Et puis d’aucuns cassent les codes, comme Côme Martin dans Cités abîmées où un narrateur s’adresse à une Voyageuse et le « vous » est diégétique : « Votre vision de la Cité abîmée pourrait correspondre strictement à ce genre de vignettes ou s’en écarter tout à fait : après tout, la Cité s’accorde le plus souvent à ses visiteurs avec grâce, vous aurez bientôt l’occasion de le constater de visu… »

Se demander comment s’adresser à sa lectrice, c’est à mon avis une question importante à se poser avant de démarrer la rédaction.

Le futur ou futur proche

C’est quelque chose qui se produit systématiquement quand on se met mentalement en situation de présenter son jeu à une table et qu’on rédige ce qu’on aurait alors expliqué aux joueuses. On retrouve des tournures de type « on va jouer ceci », « vous ferez cela » etc. Mais le temps de l’écrit est différent, et dans un livre de jeu ces futurs me paraissent souvent inélégants. D’autant que la concordance des temps vrille ensuite : l’action évoquée au futur est suivie d’une action postérieure mais au présent… on alterne présent et futur de façon chaotique.

J’ai tendance à recommander un présent tout simple, intemporel, à la place du futur. Le présent, c’est la petite robe noire de la grammaire, sache-le.

Là aussi il y a des exceptions. Dans La Grive noire de Milouch, l’autrice prévient dès le départ : « De ce terrain aux émotions accidentées surgira le glas. » (qui est le climax de la partie). Le futur est quasi prophétique ici, et ça sonne très bien. 

Donc se poser la question pour chaque futur, notamment au moment d’une relecture : est-ce qu’on laisse ? est-ce ne gagnerait pas à le remplacer par un présent ?

Les redondances

C’est encore une marque de l’oral, où il est nécessaire de répéter sous plusieurs formes pour que l’info accroche. Et nous avons spontanément tendance à répéter les infos différemment, pour ajouter de la nuance ou pour être certaines d’avoir couvert le sujet. Je coupe ces redondances chez les autres mais je sais que je les produis moi-même par ici.

Là encore, écrit et oral ne fonctionnent pas de la même façon. Si deux phrases disent presque la même chose, je propose toujours d’en choisir une et de couper l’autre. La nuance passe à la trappe, mais comme en jardinage, l’élagage donne plus de portée à la phrase qui reste.

Ce n’est pas forcément quelque chose à avoir en tête au moment de l’écriture, mais je recommanderais de laisser reposer, et se poser la question ensuite, lors d’une relecture à froid.

Adverbes et adjectifs

C’est une forme de redondance, on a tendance à utiliser trop d’adverbes et d’adjectifs à l’écrit.

Là aussi, je le vois comme une marque de l’oral, où certains adverbes sont nécessaires pour structurer notre discours : d’abord, ensuite, puis dans un 2e temps, à nouveau, etc. Mais souvent, les adverbes explicitent des notions qui sont déjà prises en charge soit par les verbes (« recommencer » n’a pas besoin de « à nouveau » par exemple) soit dans la disposition (pas besoin d’un « Premièrement » après un 1 avant le paragraphe ; aller à la ligne remplace un « ensuite », etc.). 

Pour les adjectifs, c’est pareil, on en met beaucoup, et souvent ils veulent tous dire plus ou moins la même chose, ou l’idée est déjà contenue ailleurs dans la phrase (dans les connotations des mots principaux, par exemple). 

Quand on a un adverbe par verbe et/ou un adjectif par nom dans une phrase, ou une succession de 2 ou 3 adverbes, ça veut dire qu’il faut en enlever.

Ou alors fais-le avec style : dans Cités abîmées, j’en suis venue à proposer à Côme d’ajouter des adverbes pour coller à la voix du narrateur qu’il avait posé comme pédant et faussement 19e. Comme quoi, aucune règle qui ne connaisse d’exception !

Je m’arrête sur ces 4 points, j’espère revenir rapidement pour aborder la question des exemples. En espérant que ça puisse être utile !

crédit photo : Sarah Horrigan (CC BY-NC 2.0)


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