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2022, un léger repli

Dans le prolongement de 2021, l’année a été compliquée côté « vraie vie » et avec le temps ça finit par rogner sur le JDR. Moins de parties, moins d’expérimentations, moins de productions… j’ai eu la sensation de réduire drastiquement la voilure, mais ce bilan me fait réaliser qu’en fait pas tant que ça. Je n’ai pas tellement moins joué par exemple, par contre j’ai joué à moins de jeux et avec moins de personnes.

Les chiffres, donc

J’ai joué 83 parties, ce qui consolide une tendance à la baisse légère depuis trois ans. Mais franchement, on ne peut pas parler de gros recul.

Toujours une écrasante majorité de parties en virtuel (83% de mes parties), et une poignée de parties IRL au cours de week-ends dédiés (le Gîte Millevaux, la Cômicon).

J’ai joué la majorité de mes parties en campagne (60%), ce qui implique de jouer à moins de jeux différents (21 cette année, contre 35 l’année dernière et 42 l’année précédente).

Ça devient facile d’en faire la liste : A voir et à faire en Aliatre de Simon Pettersson,Vampire La Mascarade V5, La Clé des songes, Aventures à plumes, Trip to Skye, Marchebranche, un JDR maison onirico-soviétique d’Olivier S., Weird, Liminal, Saperlipopette de Lamson, Montgascon de Cédric Ferrand, Apocalypse(Water)World, A cursed movie in the deep and wilde feat. La tourbe et la paupière, Fumée sur Canton de Simon Pettersson, Cités abîmées, Quest, Ribbon Drive, One Particular Harbor, Ravenloft / D&D5, Radio Ciel Vert et L’affaire Armitage.

Avec un gros attachement pour deux campagnes longues (Trip to Skye et Vampire) commencées en 2021, qui ont été particulièrement marquantes, touchantes et impliquantes pour moi cette année. Et qui nous ont demandé aussi beaucoup et appris beaucoup.

Je découvre avec ce bilan que je suis à peu près à 50-50 entre jeux publiés et expérimentations-playtests… la streetcred est sauve !

Le nombre de joueurs et joueuses avec qui j’ai rôlé, lui en revanche, il ne pardonne pas : 24 personnes cette année, contre 40 l’année dernière et 80 à la grande époque. Et seulement deux personnes avec qui je n’avais jamais joué précédemment (Edrika et Lucie, merci à vous pour le plaisir et la cruauté partagés). Sur ce plan-là, 2022 est clairement l’année du repli.

Mais me concentrer sur quelques tables relativement stables et régulières, c’était exactement ce dont j’avais besoin cette année. Énorme merci aux copaines avec qui j’ai joué, et un énorme « à bientôt, très vite, dès que possible » aux autres copaines avec qui je n’ai pas pu trouver le temps ou l’énergie, see you en 2023 j’espère !

Autour des parties

Pour les activités hors parties, ce n’est pas la profusion mais je suis très contente de chaque morceau.

  • un Podcast Scrutateur sur nos échecs de joueuses (et non de personnages) avec un catalogue de nos plus beaux ratages avec kF ;
  • 2 stands des Courants Alternatifs, à Orc’Idée et à Octogones, qui m’ont permis un vrai bol d’air pour retrouver le public de conventions, curieux, ouvert et intéressé

Et notre campagne L’Affaire Armitage menée par Virgile est sur youtube. J’attends la fin de la campagne pour pouvoir écouter les débriefs du MJ entre chaque session, pour voir comment s’emboîtent ses préparations et nos parties ! En attendant, on est évidemment très mal partis et en route pour la catastrophe.

Et le gros morceau, évidemment, c’est la parution de Cités abîmées de Côme Martin dans la collection Jydérie. Avec Laurent Rivelaygue à la couverture et Nicolas Folliot à la maquette. Aucun projet n’est le même et je crois que je ne m’habituerai jamais aux imprévus, mais je suis super fière du résultat et de l’accueil qu’il a reçu pour l’instant. Ce n’est que le début du boulot, faire vivre le jeu ensuite en boutiques et librairies c’est la 2e partie qui s’annonce.

Et 2023 ?

L’année démarre joliment avec le lancement de Cités abîmées à la librairie le Monte-en-l’air à Paris. Il y a aura Côme dans la place pour dédicacer à tout va, mais aussi LisaBanana pour l’interviewer, des chips, des jeux et des livres… ça va être super chouette et totalement foufou!

Dans les envies, les projets ou les engagements il y a : accompagner Cités abîmées et aboutir le titre suivant de la collection. Réveiller La Clé des nuages et Bois Dormant au passage…

Matérialiser le stand des Courants Alternatifs dans quelques conventions, notamment sur des événements que je ne connais pas (Kaysersberg je te regarde).

Et jouer de belles parties évidemment. Poursuivre Trip to Skye et L’affaire Armitage, et aussi les découvertes du fameux Club franco-suédois des JDR osbcurs et indés.

Et surtout revoir les copaines. Surtout ça.

crédit photo : davedillonphoto (CC-BY-NC-ND 2.0)

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Des tandems de MJ

Sans aucune introduction, sache que Cités abîmées de Côme Martin est chez l’imprimeur, en phase de publication imminente et de précommande dédicacée sur le site des éditions Dystopia. C’est le 3e jeu de la collection Jydérie, il coûte pas (si) cher et il est magnifique, ça serait dommage de te laisser passer à côté ! [Sache aussi que je participe à sa publication et que donc je ne suis pas totalement objective sur le sujet.]

Cités abîmées parle de Voyageurs qui arrivent à la gare pour mener leurs affaires dans la Cité : retrouver quelqu’un, faire reconnaître leur talent, faire expertiser un objet, etc. Mais la Cité a un problème, que ce soit le bruit qui y est assourdissant, les habitants qui deviennent peu à peu des automates, ou encore l’inspiration qui a déserté l’endroit. Et personne ne peut le résoudre à moins d’un lourd sacrifice… idéal pour des Voyageurs qui ne sauraient pas encore bien dans quoi ils mettent les pieds !

Quand je présente le système de Cités abîmées, je parle surtout des cartes à jouer et des tables aléatoires : elles déterminent l’élément de décor ou le figurant qui sera au centre de la scène, et les possibilités des joueurs et joueuses de refuser des concessions et compromis, ou de cadrer eux-mêmes des scènes qui mettront au centre ce qui intéresse leur Voyageur. Les cartes matérialisent le plan de la Cité sur la table et les « réagencements » qui peuvent venir modifier complètement une scène sous les yeux des personnages, quand une carte vient en recouvrir une autre.

Mais je parle plus rarement d’une originalité du dispositif, qui m’a permis de jouer de très, très chouettes parties. Côme laisse la possibilité à la table de déterminer si la Cité sera jouée par une seule joueuse ou plusieurs. Et mes meilleures expériences ont été sur le mode 2 MJ/2 PJ ou 2MJ/1 PJ. Surnombre ou égalité de MJ, en quelque sorte.

Et je pense que ça n’est pas un hasard, parce que ce dispositif-là correspond très bien à la thématique et à la forme du jeu.

La Cité est multiple

Avec Weird, j’ai découvert le chœur de MJ face à un protagoniste solitaire, qui fait surgir un fantastique très particulier, à la lisière d’une réalité cheloue, du lent pétage de plombs et de l’atroce solitude.

Dans une partie de L’Horloge du Diable, notre trio d’enquêteurs s’est retrouvé face à un tandem de MJ chargés d’interpréter les témoins, les collègues, les suspects… Le jeu fonctionnant énormément sur de l’interrogatoire minuté, se répartir des rôles (l’un pour les dialogues pendant que l’autre gardait l’œil sur le temps) permettait de souligner des moments d’immersion dans une scène et le couperet du chrono.

Dans Cités abîmées, les bâtiments, les quidams, les enfants ou les fonctionnaires, et même les arbustes du parc municipal et les oiseaux de la place centrale… chaque élément de décor est un morceau de la Cité qui peut essayer de dire « viens par là, s’il te plaît ». Jouer à deux MJ permet de produire une Cité qui ne soit pas univoque, un esprit de ruche parfaitement unifié, mais plutôt de l’ordre du fourmillement et de la profusion. J’ai beaucoup aimé la surprise de découvrir ce que mon camarade de Cité apportait en jeu sous mes yeux, souvent des éléments auxquels je n’aurais pas pensé, parfois pour le meilleur et parfois pour le pire (car oui, parfois on ne se comprend pas, hey ça arrive).

Se passer le relai

C’est un lieu commun rôliste que de dire « j’aime être surprise par mes joueuses », mais avoir à la fois toute l’autorité narrative d’un MJ et se faire surprendre par un ou une égale n’a pas la même saveur.

Dans Cités abîmées, on cadre chaque scène autour d’un focus déterminé par une carte à jouer. Notre main ne nous permet pas toujours de jouer ce qu’on avait en tête, et il n’est pas toujours facile de proposer une situation fertile au premier abord.

En effet, il y a une tension entre « où veulent aller les Voyageurs » (ou même « où va cette histoire ») et les endroits suggérés par les cartes que la Cité a en main. Sur le chemin de la gare à l’hôtel, les Voyageurs peuvent tomber sur… [as de trèfle = banque] le tournage d’un braquage à la banque centrale, et ça n’était dans les plans de personne à la base. Et il y a aussi une difficulté à proposer une situation intéressante à partir d’un lieu ou d’un figurant : une rencontre qui fait avancer les choses dans un sens ou dans l’autre, qui amène les Voyageurs à agir ou qui réclame leur intervention.

Ce que j’aime dans la dynamique du jeu à deux MJ c’est que je peux commencer à cadrer une scène et laisser à mon camarade le soin de l’emmener quelque part. Et j’aime beaucoup prendre le temps de poser une ambiance et voir mon camarade l’investir pour proposer un déséquilibre ou une amorce intéressante. Et vice versa, je peux le laisser cadrer posément, en guettant moi-même le bon moment pour faire entrer en scène cet impresario intrusif qui ne cesse de suivre les Voyageurs pour leur proposer ses services en échange de leur talent…

Outre les questions d’inventivité, ces entrées intempestives et ces relais permettent de rythmer les scènes, mieux que je ne saurais le faire toute seule.

Jouer sur la richesse des détails

Et ces temps de réflexion en pointillés sont super importants pour jeter un œil aux fiches de Cité et de Voyageurs. Elles sont sobres, mais tous les éléments sont importants pour donner de l’étoffe à ce voyage.

Ça vaut toujours le coup de relire rapidement les rumeurs à propos de la Cité pour les réintroduire à un moment ou un autre. Mais aussi de passer en revue les réminiscences des Voyageurs pour éventuellement leur en renvoyer un écho dans un détail de la scène. Ou encore de se rappeler leur but secondaire pour leur proposer une opportunité de les réaliser s’ils commencent à douter de leur bon accueil dans la Cité. Ou enfin de faire réagir des figurants à leur particularité et leur trait de caractère.

Je me rends compte que dans une partie qui a moins bien marché, j’avais petit à petit occulté ces éléments-là, y compris le besoin de la Cité, pour me concentrer uniquement sur la quête des Voyageurs. Parce que quand je joue, que ce soit côté MJ ou PJ, j’ai un peu tendance à tout oublier et à me laisser porter par la scène. Avoir un camarade de Cité qui vient soudain rappeler que le Voyageur a fait une bringue de tous les diables la veille et que le groom de l’hôtel s’en souvient très bien… c’est super précieux pour donner un peu de profondeur à sa visite.

Et souvent, il y a une répartition spontannée de ce qui nous intéresse, des motifs qu’on aime ramener dans le champ et qu’on va prendre en charge officieusement. Ce qui permet là aussi d’enrichir des scènes plus sûrement que si j’étais seule à faire le boulot.

On peut penser au jeu sans MJ de type Belong Outside Belonging comme Bois Dormant de Melville, où les joueuses ont en charge à la fois un personnage et une thématique du décor. Mais dans Cités abîmées, le goût très particulier de l’asymétrie MJ/PJ demeure. Ce qu’on joue à deux, ce sont des propositions à destination des Voyageurs, pour les intéresser, les séduire, les entraîner à l’intérieur de la Cité et de son dysfonctionnement.

Apartés et petits papiers

Et cet aspect d’un jeu à deux à destination des Voyageurs produit une forme de complicité-pour-faire-plaisir que j’aime beaucoup, dont j’avais parlé avec Weird.

J’ai joué cet été une partie de Ravenloft en mode mi-DD5 mi-murder party (!) avec apartés en pagaille et farandole de petits papiers glissés au MJ. Ce n’est pas un mode de jeu dont j’ai l’habitude (et j’ai adoré) et ça m’a fait prendre conscience que dans le jeu à 2 MJ, on a aussi ces échanges en apartés et ces passages de petits papiers, non pas entre un PJ et le MJ mais entre camarades MJ.

Car les MJ jouent aussi, et ils ne jouent pas en transparence. Que ce soit partager un doc juste entre nous pour du jeu en ligne, des petits signes pour se dire « on joue cette carte ou celle-là ? », « tu veux y aller ? », « j’ai une idée ! »… des petits papiers pour se donner des suggestions ou carrément un aparté ostensible pour décider ensemble de où emmener cette histoire.

Et puis parfois on ne se concerte pas, la complicité passe autrement. Par une forme de confiance, de ping-pong dans les descriptions, dans l’interprétation des figurants. Que ce soit pour jouer la surenchère et escalader jusqu’au surréalisme, ou plus sobrement pour avoir toujours un camarade de Cité dans le dos des Voyageurs s’il leur prend l’envie de tourner les talons.

Voilà pourquoi je suis toujours dans l’équipe où on est plusieurs… Et pour moi qui je ne suis pas une grande fan de la maîtrise, prendre place dans un tandem de MJ c’est parfait !


Présenter un jeu

Octogônes approche et comme chaque année les Courants Alternatifs y matérialiseront un stand avec des nouveautés et nos désormais « classiques ». Je ne te cache pas que l’ambiance de menaces de mort sur des personnes que j’admire a un peu refroidi l’enthousiasme, mais ce sera néanmoins un vrai plaisir de les retrouver là-bas, et de t’y retrouver aussi.

Sur le stand, il y aura (entre autres pépites en tous genres) des stocks de Bois Dormant de Melville et La Clé des nuages / La Clé des songes de kF et Côme Martin, n’hésite pas à venir les feuilleter ou en discuter !

J’en profite pour faire tourner mes trucs&astuces pour présenter un jeu, que ce soit au téléphone avec une boutique, à l’écrit sur une page itch.io, ou face à un rôliste curieux en convention. L’exercice n’est pas évident, j’ai aussi mon lot de ratages de pitch et de rencontres loupées, mais voilà mon petit manuel perso.

Quoi dire et quoi taire ?

En ce qui me concerne, la difficulté de l’exercice c’est de faire concis tout en donnant une bonne idée de ce qu’est le jeu et en quoi il mérite de s’y intéresser.

Et il y a deux gros fossés à éviter amha :

  • ne pas en dire assez : c’est le cas de beaucoup de jeux sur itch.io qui ont à peine un pitch ou une belle illustration et qui laissent la charge de la curiosité aux futurs lecteurs ou lectrices potentielles ;
  • en dire trop avec trop de détails : à un moment mon interlocuteurice ne pense qu’à une chose, « comment se tirer de ce traquenard »… L’exemple classique, c’est de commencer par pitcher la genèse d’un univers et détailler son panthéon de divinités, puis détaillerles différents types de magie, etc.

Ma stratégie, c’est d’essayer de signaler à la fois en quoi le jeu ressemble à d’autres trucs cools qu’on connaît déjà, et en quoi il est original et spécifique.

Le dispositif

Tu l’auras remarqué, les évidences sur ce qu’est un JDR par défaut ont un peu bougé ces dernières années. La variété des possibilités fait que ça vaut vraiment le coup aujourd’hui de préciser les modalités du jeu à la base, pour le situer rapidement :

  • avec ou sans MJ, ou MJ tournant, ou autre ;
  • avec ou sans scénario, ou préparation en amont de la partie ;
  • pour combien de personnes (solo, jeu à 2, 3-5 personnes, ou plus…) ;
  • pour de la campagne ou du one-shot ou les deux ;
  • pour des parties de quelle durée (sur le pouce, 2h, 4h ou plus… ) ;
  • avec quel genre de matériel (aucun, dés, cartes, jetons, épistolaire, uniquement en virtuel, etc.)

Le genre

L’ambiance du jeu est importante, mais le canon esthétique seul ne dit pas tout. Il y a plein de façons d’aborder un univers ou d’investir un genre de référence. Là aussi, il s’agit de donner des infos qui aident à se faire une meilleure idée et à évacuer les malentendus.

Par exemple, La Clé des nuages est un jeu de mage, de quête et de ruines mystérieuses. Si je ne précise pas qu’il s’agit d’un jeu poétique et symboliste, un rôliste vétéran serait tout à fait en droit de s’attendre à de l’exploration de donjon. Et je n’aime pas décevoir.

C’est pourquoi j’essaie de combiner des catégories sur ces trois axes :

  • Genre d’univers : medfan à la Tolkien, post-apo cra-cra, surréaliste années 30, etc.
  • Genre rôliste : OSR, PbtA, BoB, jeu centré sur les personnages, jeu d’enquête, jeu d’aventure, tranche de vie, jeu poétique, etc.
  • Inspirations/références : à la manière des films des frères Cohen, inspiré de Dark Souls, une façon de jouer du Full Metal Alchemist, etc.

Les personnages

Une bonne façon de donner envie, c’est d’annoncer quels types de personnages incarnent les joueuses et ce qu’ils font dans la fiction. Je prends rarement le temps ou l’espace de détailler des classes de perso ou d’expliquer l’historique de lignées, ou la métaphysique de superpouvoirs… sauf si la personne est accrochée et veut en savoir plus. Mais de prime abord je pose juste grosso modo quel genre de personnages on a et qu’est-ce qu’ils font là ?

« des aventuriers qui écument des lieux maudits à la recherche de trésors »

« les piliers d’une communauté basée sur la non-violence qui tentent de construire une société nouvelle »

« des adolescents à la recherche de leur ami disparu dans un Mall bizarre et dangereux »

Les mécaniques

Pointer rapidement ce sur quoi les mécaniques mettent l’accent, ça permet aussi de donner une idée de ce que les joueuses font concrètement dans le jeu. Là aussi, j’évite souvent de m’embarquer dans les détails, l’équilibrage, les bonus et malus… sauf questions et intérêt acté.

« Une économie de jetons invite à appeler à l’aide, à se porter au secours des autres et à prendre des décisions collectives. »

« En fonction des jets de dés, on écrit ou raye des phrases qui sont la fiche de personnage, et les règles du jeu font vriller leur parcours entre nos mains de façon inattendue. »

L’interlocuteurice

Last but not least : je fais gaffe à qui je m’adresse et dans quel contexte. Comme toute interaction sociale, je dis pas que j’ai jamais eu des loupés, mais j’essaie de faire gaffe.

Déjà sur le temps d’attention que la personne a l’air prête à m’accorder. Si je n’arrive pas à savoir, je laisse des portes ouvertes : à une boutique au téléphone « est-ce que vous avez 5min pour en parler ? », dans un mail de présentation pour un média rôliste « toutes les infos sont en pièce jointe / au bout du lien ». IRL, si je vois des signes d’impatience, j’essaie de conclure au plus vite.

Et sans être mentaliste, j’essaie de voir ce qui fait tilt chez la personne :

  • dans sa façon d’appréhender le JDR : j’évite de balancer avec aplomb « c’est du PbtA dans le rainyverse » comme si la personne savait forcément de quoi je parle. Je tâte le terrain : « vous connaissez Apocalypse World ? », « vous voyez un peu l’univers de Vivien Féasson ou pas ? » Je n’évoque pas forcément les mêmes aspects du jeu si je m’adresse à un rôliste tradi de longue date ou à quelqu’un au taquet sur la théorie rôliste alternative ou encore à quelqu’un qui découvre le JDR. Je précise que je ne trie pas les jeux pour la personne en fonction de ces critères-là, j’essaie juste d’adapter la façon dont j’en parle pour que ça lui parle.
  • ses goûts, ce qui a l’air de la botter ou pas, ce qui fait s’allumer ses yeux ou au contraire reposer vite fait le jeu. Souvent je demande carrément : qu’est-ce qu’elle aime, qu’est-ce qu’elle aurait envie de découvrir, qu’est-ce qui l’intéresse, qu’est-ce qu’elle a déjà joué… Et je suis honnête : si la personne ne kiffe pas le jeu sans MJ, je ne lui fourgue pas Bois Dormant au prétexte que « celui-là est tellement bien ça te fera changer d’avis ».

Pour une boutique ou un média (au sens large), je fais confiance à la personne pour connaître son public et les goûts de celui-ci.

… et moi

Essayer d’être efficace, concise et s’adapter à son interlocuteurice ça ne veut pas dire lâcher la sincérité. Quand je présente des jeux, c’est pour transmettre une étincelle, partager une émotion de joueuse avec d’autres personnes. J’ai l’impression que quand on dit que quelqu’un « parle bien de jeux » c’est qu’il arrive justement à faire passer un truc.

Je considère que mes émotions à moi ont complètement leur place dans le bazar, soit parce que j’ai l’oeil brillant, la voix qui s’emballe un peu, soit parce que je le dis carrément : « moi j’ai adoré ce jeu », « je ne suis pas objective l’univers me parle à fond, de base », etc.

Cités abîmées pour la route

Et à titre d’exercice, j’en profite pour te re-teaser Cités abîmées de Côme Martin, parce que plus ça prend forme plus ça va être incroyable, tu n’imagines même pas !

C’est donc le prochain jeu à paraître dans la collection Jydérie. Ambiance surréaliste années 30, on y incarne des voyageurs qui débarquent à la gare centrale de la Cité, sans savoir que celle-ci a besoin d’eux pour la réparer… et que ça risque de leur en coûter. Plein de configurations sont possibles, mais ma préférée pour ce jeu c’est avec 2 MJ et une ou plusieurs joueuses. Le jeu lui-même fonctionne avec des cartes à jouer, des tables aléatoires et pas mal d’incongruité… ce mélange de quotidien citadin et de folie qui fait la marque de fabrique d’Exils ou d’Itras By !

Garde soigneusement 15 euros dans ta poche pour l’après Octogones, si tout se passe sans accroc la précommande sera en octobre sur le site Dystopia, et la parution en novembre en boutique et librairie !

crédit photo: Stéphane Gallay, sous licence Creative Commons (CC-BY)


Jouer en tandem

Un soubresaut post-mortem pour une réflexion de passage à propos d’une dynamique de jeu qui change du « groupe de PJ ».

Je me rends compte que j’ai joué un certain nombre de duos de PJ en Jidérie sans réaliser à quel point la dynamique à la table a une saveur particulière quand on est 2 joueuses et 1 meneuse. Je me souviens d’une vieille partie façon X-Files apéro, où nous n’avions pas du tout profité de ce dispositif particulier pour… et bien faire des trucs particuliers.

Du coup je me dis que ça vaut le coup de prendre deux minutes pour regarder la bête. Parce qu’aujourd’hui je savoure certaines de ces particularités, et que ça serait dommage de passer à côté à l’avenir, et puis… si on peut pousser des curseurs quand ça se présente, hein ?

Des configurations spéciales

J’ai l’impression qu’en Jidérie la configuration de base c’est 1 meneuse et une brouette de joueuses (plutôt 3-4 joueuses dans l’indé, plutôt 5-6+ joueuses dans le tradi).

On peut certes se retrouver rapidement à jouer des scènes à deux personnages dans une partie drama, à jouer une relation spéciale entre deux persos dans une partie lambda (ça te dirait qu’on soit jumeaux ? si je suis ton garde du corps, c’est ok ?) ou à jouer des apartés dans une partie tradi. Mais entre ces moments, autour de ces persos, il y a la dynamique de base, celle du « groupe de PJ » ou du « sac de nœuds relationnels » des teams drama.

Et je trouve intéressant de regarder ce qui se passe quand on modifie le dispositif, et se demander pourquoi on le fait. Dans Weird, le dispositif inversé, 1 PJ pour plusieurs MJ, permet un certain fantastique que j’adore, qui n’est pas possible autrement amha.

On a aussi pu parler de l’intimité un peu particulière du jeu à deux. Ça met en place un moment spécial, dans lequel on va parler un langage qui n’aura de sens que pour nous deux. Pour se dire des belles choses avec La Clé des nuages, ou pour jouer carrément la romance avec Starcrossed par exemple.

Pour moi, jouer un duo de personnages dans une configuration à 2 joueuses et 1 meneuse, c’est encore une case à part de la dynamique habituelle et je me demande où sont les jeux qui sont conçus pour ça. A part La Clé des songes, bien sûr :)

Mon premier réflexe a été de trouver super limitant d’imaginer un jeu pour une configuration précise : 1 MJ et 2 PJ, vazy fais une table et dépasse pas, c’est comme ça… mais après tout, le jeu à deux c’est la même chose, non ? Et puis, entre réunir deux autres personnes et coordonner un frama à 5 ou 6, c’est quoi le plus compliqué ?

Des canons esthétiques particuliers

Je n’ai pas un amour immodéré pour les fictions de flics, mais le duo d’enquêteurs, les fameux agents « partners », c’est un cliché du genre qu’on reproduit assez peu en Jidérie (en tout cas à ma connaissance). Il me semble qu’on a vite fait de jouer plutôt un service entier du FBI, hiérarchie comprise, que juste deux agents sur le terrain.

Je me souviens d’une partie de Berlin XVIII jouée en tandem, où cette dynamique a été pour beaucoup dans le plaisir que j’ai eu à jouer. Je me souviens aussi d’un atelier à Eclipse, où j’ai (naïvement) proposé une situation de duo de flics pour un exercice et la dynamique a entraîné les deux joueurs bien loin de la consigne initiale pour une scène explosive et jouissive.

Et il y a bien d’autres canons qui fonctionnent sur ce dispositif amha : le western produit souvent des duos, l’investigation façon Sherlock Holmes&Watson, l’épopée façon Don Quichotte et Sancho Pança… et ces canons ont tous cette particularité de jouer un « nous deux contre le monde ». L’Ouest hostile du western, l’ordinaire trop limité pour suivre Sherlock, le monde fantasmé et irréel de Don Quichotte.

Jouer avec les asymétries

Mentionner Holmes&Waston ou Don Quichotte m’amène à parler d’asymétrie. Le duo permet de mettre en lumière des asymétries de PJ souvent très fun.

Certaines sont flagrantes dès le départ, comme dans Berlin XVIII mentionné plus haut, où j’incarnais euh… « une grenade dégoupillée avec un flingue » et mon camarade joueur était au contraire mon partenaire posé et respectueux de la procédure. Le feu et la glace étaient de sortie, et ça faisait partie du plaisir. Le voir croiser tranquillement les bras en attendant que je termine d’encastrer un collègue dans la machine à café, c’était bonheur.

Dans une partie de Bois-Saule, j’ai incarnée une petite fille et l’autre joueuse jouait mon beau-père junkie : l’adulte et l’enfant, l’innocente et le damné.

Mais parfois ces asymétries ne sont pas spécialement posées sur la table et se révèlent en jeu. Dans une partie de Cités abîmées*, j’ai vu deux joueuses incarner un couple de scénaristes d’un certain âge, a priori sur un pied d’égalité. Les voir évoluer ensemble a révélé des différences de caractères hyper savoureuses : si les deux étaient adorables et positifs, l’un était taiseux et conciliant, l’autre démonstrative et volontaire.

[*le prochain jeu de Côme Martin, à paraître chez Dystopia, je te l’ai dit ou pas ?]

Et je conçois qu’on puisse tout à faire créer des duos à l’intérieur même d’un groupe de PJ. J’ai été le barbare garde du corps d’une elfe classieuse dans une campagne de Chroniques Oubliées, j’ai été la cheffe de clan qui ne va nulle part sans son seul ami/esclave Orc dans Burning Wheel, etc. Mais dans le jeu en duo, il n’y a personne d’autre autour. Et ça compte, crois-moi ça compte.

Une relation au centre

Car jouer un duo a cet avantage de mettre au centre une seule relation, celle qui unit les deux PJ, quelle qu’elle soit.

Dans la partie de Bois-Saule mentionnée plus haut, j’ai joué une petite fille et son beau-père perdus dans Millevaux et poursuivis par la mère/l’ex toxique. La relation super émouvante entre ces deux personnages n’aurait probablement pas pu se déployer de cette façon avec plus de PJ à la table. Parce qu’ici les deux personnages étaient seuls au monde, chacun incapable de s’occuper correctement de lui-même (une petite fille et un junkie) mais chacun se sentant responsable de l’autre, de toute l’aide et le réconfort qu’il pourrait apporter à l’autre. Parce qu’il n’y avait personne d’autre pour faire le taff ou partager le taff. Parce que c’était tout ce que nous avions.

Pour moi qui ne suis pas fan des romances – et surtout de cette hiérarchisation machinale qu’on peut produire en mettant la romance au-dessus de toutes les autres relations – jouer un duo permet de mettre au centre un autre type de relation et dire : « c’est important, c’est la plus importante ».

Dans ma campagne de Night Witches, nous n’étions que deux PJ parmi les pilotes. Notre relation n’avait pas de nom mais elle était centrale, bouleversante. L’adversité était terrible, mais le peu de confiance qu’on pouvait accorder, le peu de soutien qu’on pouvait montrer, il était pour l’autre.

Dans la saison actuelle de Trip To Skye où nous jouons en duo de PJ, je retrouve exactement la même dynamique, à la fois extrêmement intime et extrêmement pudique. Ça n’a pas besoin d’avoir de nom, ça n’a pas besoin d’être défini, parce que c’est au centre sans qu’on en parle, sans qu’on appuie dessus, sans qu’on ait à batailler pour trouver de l’espace pour le faire exister… et donc sans cette contrepartie d’avoir à le montrer.

… et je m’arrête ici, même si j’intuite qu’il y aurait probablement matière à creuser sur ces pistes-là. Notamment sur le rôle de la meneuse dans tout ça, parce que je vois bien qu’il est important.

En attendant, si tu connais des jeux qui se jouent à 3 uniquement, pour déployer des tandems de PJ dans toute leur singularité, à jouer des « nous deux contre le monde », et qui ne soient pas des romances… envoie les références, ça m’intéresse !

crédit réflexion : kF, Melville

crédit photo : Ervin Lógó, CC BY 2.0


Liminal de kF

Toi et moi bloque une heure, ou la moitié, 10 minutes à peu près. Toi et moi

C’est quoi une partie de Liminal ? Les deux-trois minutes d’une image, une situation, un « qu’est-ce que tu fais ? » ou même pas, ou est-ce que c’est l’enchaînement de celles-ci, le moment qui prend deux heures en fait.

C’est quoi Liminal ? Un texte-poème, une invitation, un dispositif, presque rien mais beau tu vois. Toi et moi, une musique, l’une parle et puis l’autre et puis l’une coupe la musique avant l’autre et voilà.

De l’aveu de kF, au départ il y a une volonté de jouer des idées qu’on a comme ça mais qui sont un peu casse-gueule alors on n’ose pas les placer dans une partie, ou qui sont un peu light et on ne sait pas trop quoi en tirer en fait… Dans la longue liste de nos échecs, on n’a parlé de Liminal comme d’un dispositif de déresponsabilisation : un shot dure entre 1 et 5 minutes, vazy fais un truc, si c’est nul on en fait un autre et même plein d’autres. Aucun shot n’a vocation à être mémorable, et parfois certains le seront et c’est tout.

Et puis on a utilisé Liminal pour se filouter l’une l’autre qu’est-ce que tu veux : si j’arrête la musique pour te confisquer la fin du shot, tu vas faire quoi ? et si c’est moi qui lance un shot ? et si tu me dis que je suis roi, moi je te dis je suis le comédien qui joue le roi, tu me dis ok va sur scène alors, je te dis je fais un malaise, tu l’auras pas mon monologue… et on coupe.

Et puis on a retenté récemment de façon un peu plus sage, et si je t’en parle c’est parce que je suis une grosse lectrice de nouvelles, et qu’a posteriori j’ai la très chouette sensation d’avoir joué un recueil, dont le sommaire serait celui-ci :

La cathédrale
Chill et cravate

Est-ce que tu as appelé maman ?
Pierre levée
Charon et le chien
La piscine 1 : Ce soir je suis cool

La piscine 2 : Not so cool
Cyberpunk
L’impératrice au piano
La piscine 3 : Saute
Poker
La mafia

La piscine 4 : Fog
Vendre la caravane
Le train des âmes
La fuite

Les espaces entre le shots correspondent à des pauses débriefs, où on revient sur les quelques shots joués. Nos échanges ressemblent énormément à deux lecteurices du même recueil qui se demandent « et celle-là t’en as pensé quoi ? ». Parce qu’après tout c’est pas fait pour être lu d’une traite un recueil, des fois tu enchaînes, des fois tu profites d’une fin pour prendre un peu de distance avec le bouquin, tu respires.

Et c’est la première fois pour moi que 2h de jeu produisent ce feeling-là. On a dit « le JDR peut tout faire », mais il fait beaucoup de la décalogie Bragelonne et de la série Netflix quand même. Quand soudain… la vibe toute particulière d’un recueil de Nina Allan.

APARTE NINA ALLAN

Quelqu’un a dit de Nina Allan que « ses récits se hantent mutuellement » et c’est exactement le feeling, notamment dans ses recueils Stardust et Complications. Une ambiance hyper particulière, des récits qui ne vont jamais où on l’on croit, des scènes qui peuvent rester en suspension sans explication… le rythme lui-même est unique, l’ambiance toujours chelou-bizarre, et puis on imagine plein de sens cachés dans les éléments qui réapparaissent en toile de fond d’une nouvelle à l’autre. Dans la galerie de portraits des impératrices du weird, il y a Nina Allan.

FIN DE L’APARTE

Tu sais, Liminal.

Je pense qu’une bonne part du feeling vient de la façon dont on a construit notre « recueil » à nous, sans le faire spécialement exprès, sans avoir de vision d’ensemble au début, mais en consolidant des trucs au fur et à mesure.

Il y a des juxtapositions qu’on percute pour la rupture de ton : une ambiance Elden Ring très forte en symboles, et juste après, le chill ultra-quotidien d’un retour d’entretien d’embauche par exemple.

Il y a des reprises de la même situation générale ou la même esthétique, qui forment des fils qui s’entrecroisent par moments :

  • La cathédrale est une cérémonie funèbre dans laquelle, entre autres, on voit un chien aux yeux fous ; puis un mort fait face à Charon et ce même chien pour rejoindre le pays des morts dans Charon et le chien.
  • La piscine, c’est une fête dans une villa façon springbreak : on joue d’abord deux cool kids en voiture qui s’y rendent, puis deux pas-si-cool kids qui peinent à y trouver leurs marques, puis l’injonction au cool qui empêche un moment de sincérité, puis l’attente de la police après un accident mortel. Plein de facettes d’une même fête, des tandems de personnages dont je suis toujours convaincue que ce sont les mêmes, alors que pour kF ils sont différents à chaque fois.

Il y a des motifs qui reviennent sans qu’on sache exactement ce que ça veut dire :

  • dans La mafia, les personnages s’appellent Diego-le-King, le Fossoyeur et la Chienne, en écho aux trois chevaliers de La cathédrale qui portaient une couronne, un cercueil ouvert et ce chien aux yeux fous.
  • l’irruption de la mort dans La piscine 4 est marquée par la musique, qui est la même que celle de Charon et le chien.
  • dans La fuite le personnage doit échapper aux flics qui bouclent le périmètre, j’y ai vu la suite directe de Cyberpunk (un casse qui tourne mal) et kF la suite de La mafia, car les autres s’appellent Diego, le Fossoyeur et la Chienne…

Et enfin il y a cette thématique qui irrigue la plupart des shots, à savoir la mort, ce qu’on a découvert à la fin. Avec quelques morceaux qui y échappent curieusement : L’impératrice au piano, La Pierre levée, Poker.

En terme de jeu et de rythme, là aussi on tente des variations : enchaîner des actions rapides avec l’œil sur le compte à rebours de la fin du morceau (Cyberpunk), ou couper bizarrement une scène parce que je n’ai pas vu venir la fin du morceau (La piscine 3), jouer un moment de respiration qui ne va nulle part (Chill & cravate), donner plus tard un sens au moment de respiration joué précédemment…

Et parce que je suis cap de frimer dans l’imperfection, autant mentionner aussi les difficultés rencontrées.

Des fois la musique tombe juste parfaitement, mais on a aussi loupé un paquet de virages de la bande son (moi surtout, vu que la musique et moi c’est… compliqué).

Sur les scènes de quotidien contemporain, je me découvre une certaine difficulté à sonner « juste » et à typer mon perso (va y avoir besoin de rééducation par le BASQ je ne vois que ça !).

Et surtout, cinq minutes max ça passe vite, il faut être efficace même dans le chill. J’étais capable de ça dans mes folles années d’impro, mais je me rends compte que c’est quelque chose que j’ai largement perdu aujourd’hui. Le rythme rôliste habituel est très différent de « définis qui tu es là tout de suite », « soit claire sur notre relation, pas de temps pour les devinettes », « tranche, décide-toi, va quelque part ». Autant dire que c’était pas la soirée des hold-ups et ça a donné des personnages souvent réduits à leur voix, des toi&moi plutôt que des noms… Et ça a produit des moments de flou fertile parfois, et puis des moments de confusion un peu dommages parfois.

Mais ça dure 1 min, 5 min et quoi ?

on coupe.


Les filouteries d’Eugénie

La concession, le jeu collectif, l’écoute, ce sont de très beaux outils, nécessaires et vertueux, mais pour une fois j’ouvre le double-fond de ma trousse de joueuse. C’est l’heure de sortir le matosse de fourbasse.

Narratimaxeuse

Ce n’est pas évident de minimaxer en Narrativo-Veganie. La plupart des jeux auxquels je joue ne sont pas faits pour le plaisir d’aller chercher les bons scores, le bonus qui va bien, la créa de perso maline… C’est souvent pas fait pour. Est-ce que pour autant on ne peut pas se retrouver avec un personnage complètement cheaté et en tirer une saveur particulière ? Hey, place au narratimaxage.

Dans Sur les frontières, un personnage est défini par des données textuelles et chiffrées. Les chiffres c’est pas mon domaine, mais le trait qui sert à tout c’est la marque de fabrique d’une narratimaxeuse. J’ai oublié le nom de mon perso, mais je me souviens encore de son qualificatif « la Vive », utilisé comme avantage à toutes les sauces, pour la rapidité, la dextérité, l’intelligence, la répartie etc. Et des grincements de dents de certains joueurs épris d’équité à la table.

Il y a aussi le détail fictionnel qui se révèle un atout total. La Bête de mon premier perso de Damnés était une Faim insatiable, une forme de cleptomanie, le besoin de tout posséder. Invitée à décrire la manifestation physique que ça pouvait prendre, j’ai décrit de multiples tiroirs que je pouvais tirer de mon corps pour y stocker mes larcins. C’était classe, c’était poétique… mais déso pas déso, mon corps est devenu un sac sans fond où stocker n’importe quoi et d’où tirer n’importe quoi quand le besoin s’en faisait sentir.

Qu’est-ce qu’il faut pour que ça passe ?

  • qu’il n’y ait pas trop d’enjeux sur les utilisations en question (le sac sans fond quand on joue du drama, c’est à peu près ok) ;
  • que l’utilisation d’un trait fourre-tout soit inattendue et un peu classe plutôt que paresseuse… (le trait « la Vive » , mm mm c’était pas un bon plan)
  • ne pas refaire le même coup trois fois de suite.

Et sinon, qu’est-ce que tu risques ? Qu’on te ressorte « la Vive » à chaque fois que tu sèches pour créer un trait de perso pendant les années suivantes.

Le PJ ou l’artefact de Schrödinger

Je l’ai déjà évoqué dans un vieux billet et dans un Gymnase des PJ de Casus Belli, sur la note de « comment faire pour éviter ça », mais on ne va pas se mentir, des fois on ne veut pas l’éviter.

C’est très simple, quelqu’un dit : « on entre » ou « on prend l’artefact » et le MJ enchaîne sur la scène suivante. Et moi je n’ai rien dit. Ni « ok je les suis », ni « attendez, moi je reste dehors ». Ni « ok c’est toi qui l’as, du coup ? » ni « ok je le mets dans ma sacoche ». Pendant un laps de temps (qui varie selon les tables et selon les situations), mon personnage est à la fois dedans et dehors et pas vraiment dedans ni vraiment dehors. L’artefact est à la fois dans la poche de mon camarade et dans ma sacoche, et en même temps dans aucune des deux.

Du coup, tu as moyen d’être au bon endroit quand il faut, ou pas là s’il fallait pas, d’avoir l’artefact sur toi si tu en as besoin, ou pas sur toi si c’était pourri. 

Qu’est-ce qu’il faut pour que ça passe ?

  • bien placer ta protestation et la fenêtre de tir est variable, selon le degré de flou dans la scène ou la patience de la table… faut sentir le moment,
  • que l’action ou l’inaction soit pile dans la logique de ton perso pour que tout le monde se rende à l’évidence,
  • ne pas faire le coup trois fois de suite.

Et sinon qu’est-ce que tu risques ? De la confusion à la table jusqu’à ce que quelqu’un pose un stop et repose bien les choses à plat. Attention la confusion, c’est comme patiner dans la semoule, c’est souvent pénible.

Faire bouger le MJ

Les MJ se demandent à longueur de posts comment faire bouger leurs joueuses, il n’y a pas de raison de ne pas renvoyer l’ascenseur. J’avais évoqué cette technique dans la Petite de Capsule de Café consacrée à l’enquête.

Quand je patauge dans une enquête et que je ne sais plus quel fil tirer, que toutes les pistes sont des impasses ou que je n’arrive pas à comprendre les indices, mon personnage lâche ostensiblement l’affaire. Sans expression de ras-le-bol ni rien de désagréable, juste soudain un perso qui va faire d’autres trucs : rentrer dans sa famille, s’occuper consciencieusement de ses cactus préférés, proposer un verre à un PNJ croisé un peu plus tôt pour parler d’autre chose.

Le message est adressé au MJ : déso j’arrête de chercher. Je rôle encore, mais si tu veux que l’enquête aille quelque part, à toi de débloquer la situation.

Et c’est en général après une scène de ce genre qu’un indic veut absolument parler aux PJ, que le labo envoie enfin le résultat des analyses, ou qu’un ancien collègue se souvient que ça lui rappelle un dossier similaire d’il y a 10 ans… 

Qu’est-ce qu’il faut pour que ça passe ?

  • s’être un peu bougée avant, avoir montré que tu essayais quand même ;
  • faire le sous-titre, si le MJ ou le groupe ne comprend pas le message.

Et sinon qu’est-ce que tu risques ? Une scène chill à boire des bières avec un poto assis sur un toit de bagnole… ça va.

Retourner le dilemme moral

Depuis ma culture biblique très très limitée, je peux citer à la grosse louche le sacrifice d’Abraham, qui offre son fils Isaac à Dieu après avoir eu une vision, comme un acte de foi… et un ange arrête sa main au dernier moment. Dans Hypérion de Dan Simmons, un personnage inverse la lecture du sacrifice d’Abraham en supposant que c’est Abraham qui a testé Dieu en lui obéissant, que Dieu s’est montré digne de sa foi en arrêtant son bras.

Tu changes les protagonistes de cette petite histoire, et tu obtiens un renvoi du dilemme moral de la joueuse au MJ.

Je me souviens d’une partie de The Clay That Woke où mon Minotaure devait empêcher un artiste de se suicider ou de se sauver avant d’être exécuté (pour des raisons peu valables). La situation était un dilemme pour mon personnage, mais quand est arrivé un plat de poisson pour le dîner de l’artiste, mon Minotaure l’a fait livrer avec une énorme arrête bien évidence. Et c’est le figurant qui a mariné toute la nuit avec l’idée. Au matin, l’un et l’autre savaient (et le MJ et moi savions) que le dilemme de mettre fin lui-même à ses jours avait été résolu, et qu’on passait à autre chose : l’empêcher de fuir.

Qu’est-ce qu’il faut pour que ça passe ?

  • un MJ qui joue le jeu de la logique des persos ou de l’intérêt de l’histoire plus que de la punition ;
  • une situation où le dilemme peut être intéressant pour le PNJ aussi ;
  • ne pas refaire le même coup trois fois de suite.

Et sinon qu’est-ce que tu risques ? Qu’on te juge pour la morale douteuse de ton perso, ou que les autres joueuses (MJ compris) aient l’impression que tu fais ton murder hobo pas impliqué dans la partie.

Faire un hold up

Je ne saurais pas forcément faire une typologie des hold ups en Jidérie, mais disons que j’ai à mon actif un certain nombre de braquages.

Il y a des hold up ponctuels et délimités, ceux où tu t’empares soudain d’un élément de jeu qui est en dehors de ton champ de légitimité de joueuse (confisquer la fin de la partie, un PNJ, ou autre).

Par exemple, dans Dragonfly Motel, déchirer son dernier petit papier marque la fin de la partie : il m’est arrivé d’annoncer unilatéralement « c’est fini » en déchirant mon avant-dernier papier (… le dernier étant caché sous ma feuille de notes). Ou encore, dans un jeu suédois sans MJ dont je n’ai malheureusement pas noté le nom, tous les personnages étaient intimement liés à un PNJ que j’ai délibérément abattu à la première scène.

Et puis il y a le hold up de la cinglée pyromane (un type de personnage que j’adore à Fiasco, notamment). La meuf intense qui entraîne toute la table dans le sillage de son obsession. La plupart des enjeux tournent autour d’elle, ou de ce qu’elle a fait, ou ce qu’elle veut faire. On peine à donner de l’intérêt à d’autres trucs. Et quand elle déboule dans une scène, c’est pas du jeu au service, c’est pour prendre le projo. C’est une figure propre au jeu sans MJ, où, au lieu de dévier de tes enjeux quand ce n’est pas ton tour, tu gardes les yeux dessus quoiqu’il arrive et ça transforme à peu près tout ce que tu touches.

Qu’est-ce qu’il faut pour que ça passe ?

  • que les autres aient envie de suivre : dans le cas d’une cinglée pyromane, s’assurer que tous les PJ aient une relation avec elle,
  • que ça ne soit pas gratuit : que les effets ponctuels apportent un surplus de sens à la partie, que la cinglée ait une obsession moteur pour emmener réellement l’histoire quelque part,
  • dire merci à la fin… parce qu’à tous les coups, les autres auront joué complètement au service et c’est bien sympa de leur part.

Et sinon qu’est-ce que tu risques ? De laisser d’autres joueuses sur le carreau après leur avoir confisqué la partie sur un caprice de rockstar. Juste ça.

La dose fait le poison

La distance qui sépare « filouter » et « se comporter comme une connasse », c’est souvent une question de dosage. Il faut sentir le bon moment, trouver la bonne façon, le pied sur le frein au cas où ça racle. Jouer fourbe, ça se fait avec des gants de velours. 

Les techniques que je catalogue ici sont autant des fautes que des figures, selon les contextes, et dans mes expériences, ça a produit de très beaux moments comme d’assez mauvais.

Mais il y a des trucs qui aident à ce que ça passe (presque) crème : quand on partage une certaine complicité à la table ; quand tout le monde joue pour un moment mémorable plutôt que pour une justesse d’équilibrage ; quand les filouteries s’appuient sur des éléments stylés ou produisent un effet waouh ; quand tout reste hyper logique dans la fiction, ou hyper cohérent avec le perso aux yeux des autres ; quand tu te portes volontaire à d’autres moments pour jouer la lose, ou concéder, ou jouer au service… histoire de faire tourner la roue du Karma.

Et toi, c’est quoi tes astuces de filoute ?

crédit photo : John Griffiths (CC BY-NC-ND 2.0)


Bilan 2021

Ayant loupé tous les tops de fin d’année, elle se livre à l’exercice tellement rétro du bilan sur son blog.

Mes parties en chiffres

J’ai joué 90 parties cette année. Avec encore une fois une proportion écrasante de parties en virtuel, qui sont devenues ma pratique ordinaire, le présentiel étant l’événement. En dehors de cette particularité, tous les ratios de mes dernières années de pratique se sont inversés dans une espèce de retour aux origines. J’ai joué plus de sessions de campagnes que de oneshot ; plus de jeux avec MJ que sans ; plus de jeux publiés que de playtests ou expérimentations.

Il y a eu : A cursed movie in the deep and wild ; À voir et à faire en Aliatre ; Anatman ; Apocalypse Keys ; Apocalypse Weird ; BlueBeard’s Bride ; Bois Dormant ; Burning Wheel ; Cimetière ; Cités Abîmées ; Den yttersta domen ; Deux étés ; Dévoyée ; Fiasco ; un OSR à partir d’Hexroll ; Inflorenza ; Itras By – Métropolitain (devenu en cours de route Pendant ce temps dans le métro) ; un playtest d’animaux mignons ; L’Abysse et la racine ; La clé des nuages ; La Cour Corbelle ; Landes de la fin des temps ; Les Errants d’Ukyo ; Liminal ; Magistrats et Manigances ; Meute ; Nahual ; Nervure ; un PbtA participatif ; The Excellents ; Toi qui comme un couteau dans mon coeur plaintif es entrée ; Trip to Skye ; Trois jours de soleil ; Vampire V5 ; Weird.

Soit 35 jeux différents au compteur, contre 42 l’année dernière.

J’ai joué avec 40 personnes différentes cette année, encore moins qu’en 2020. Dont 17 joueuses féminines. Et 11 personnes avec qui j’ai joué pour la première fois cette année.

Je suis d’ailleurs bien contente des chouettes nouvelles rencontres de cette année : tous les zozos de la campagne ouverte Itras By Métropolitain à la formidable énergie surréaliste, le Club des playtests franco-suédois de JDR indés et obscurs qui m’a sortie de ma zone de confort sur beaucoup de plans ; ou encore mon tragique camarade de manteau à Trip to Skye.

Sur le podium des personnes avec qui j’ai le plus joué, je peux citer la team Vampire au complet, qui squatte les trois premières places sans vergogne.

Et une pensée toute particulière pour les petites voix de Mafia esthétique, qui ont largement marqué mon année <3

Et côté productions

Le gros événement de mon année rôliste, ça a été le lancement de la collection Jydérie chez Dystopia, avec la parution de Bois Dormant, vivre avec les ronces de Melville, et La Clé des nuages / Clé des songes de kF et Côme Martin. Tu peux retrouver un récap ici de toutes les infos qui vont bien : de quoi ça parle, où se procurer les jeux, les interviews et critiques, des parties enregistrées, etc.

Je n’ai pas les chiffres exacts, mais nous avons passé la barre des 200 exemplaires chacun en décembre, ce que je trouve plutôt joli pour deux jeux indés et un éditeur outsider en JDR. Je suis assez fière des livres eux-mêmes, et reconnaissante du bel écho que ces jeux ont pu avoir dans les medias rôlistes (et aussi un peu en dehors).

J’en profite pour remettre en avant une émission que j’ai trouvée passionnante, à laquelle kF, Melville et moi avons participé séparément puis avons été recollées par petits morceaux par Cess… et dans laquelle les animatrices questionnent le JDR et ses marges avec énormément d’intelligence. Ça s’appelle Promenons-nous en Jydérie et Retournons en Jydérie ! sur C-Lab, dans l’émission J’irai cracher sur vos ondes.

Côté podcasts, je peux ajouter :

  • Les Voix d’Altaride n°116, où Cendrones nous a invités, Côme Martin, Vivien Féasson et moi, à discuter de publication, avec ou sans crowdfunding.
  • Les Voix d’Altaride toujours, un super chouette Hors Série JDR&Littérature où Cendrones et moi accueillons des auteurs et autrices de Dystopia : kF et Mleville pour le JDR, Léo Henry et luvan pour les romans et nouvelles.
  • Les enregistrements participatifs et sympathiques de la Boîte à Cookies les dimanche matin (même si le créneau a eu largement tendance à sauter de mon côté depuis septembre, fatigue oblige). J’ai quand même pu participer avec un gros plaisir aux sujets suivants : le couple, le bonheur, la responsabilité, les codes de conduite, la maturité, la masculinité.

Côté parties enregistrées, juste deux :

Et enfin, côté blog pas grand-chose, soyons honnêtes :

  • la retranscription d’un loooong podcast en trois parties, avec kF et Nando, chercheur en cinéma, sur l’histoire du cinéma et les étapes de légitimation d’un média ;
  • deux cris d’amour pour deux jeux que j’ai adorés : Weird de kF, et La Cour Corbelle de Thomas Munier ;
  • un billet-frime en forme de compte-rendu de partie d’un PbtA participatif.

Et aussi des retrouvailles de toutes sortes avec la reprise de quelques événements : avec les pistaches du Gîte Millevaux, les ami.e.s de la Cômicon, les copaines de stand à Octogones. Enorme merci à tous et toutes pour ces moments partagés, ça a fait un bien fou.

Une fin amère

Le mot de la fin ne sera malheureusement pas très gai. Une année qui finit sur la perte d’un grand nom du JDR indé francophone est une année de merde. Frédéric Sintes est décédé le 22 décembre. Malgré les désaccords que nous avons pu avoir, il laisse un grand vide. Je t’invite à lire le texte de Fabien Hildwein qui lui rend hommage.

Tenons-nous chaud pour l’année à venir.

crédit photo : neil roger (CC BY-NC-ND 2.0)


Weird de kF

Deuxième soubresaut post-mortem : j’ai envie de partager le feeling assez particulier de Weird, le dernier jeu de kF, qui ne me paraît pas si courant en Jidérie et que j’aime énormément.

Dans Weird, une joueuse joue la Voix (le personnage principal) et pose une situation de départ. Les autres joueuses jouent le Chœur (adversité, sensations, décors et figurants) et interviennent pour emmener le récit quelque part, une fois que la Voix a donné l’impulsion.

Des histoires intimes et bizarres

Les parties de Weird que j’ai pu jouer pourraient être résumées ainsi :

  • un enquêteur citadin, fatigué et obsessionnel, arrive dans un village pour rouvrir une vieille affaire de meurtres en série, alors qu’on vient de retrouver un nouveau corps.
  • une femme rentre du Japon après une absence de 15 ans pour l’enterrement de sa grand-mère, et retombe dans les filets de sa famille sectaire.
  • une femme à la mémoire instable se réveille au milieu d’une scène macabre et pense avoir tué son ami d’enfance.
  • une femme épuisée se lance dans une cavale nocturne sur l’autoroute avec son patron enfermé dans le coffre.

Dans chacune de ces histoires, le weird s’est introduit dans les perceptions de chaque personnage principal, ses obsessions et ses dénis, sa mémoire défaillante, son intense fatigue… et dans cette impression que tout tournait autour de lui ou d’elle, ou n’avait de sens que pour lui ou elle. Chacun était prisonnier de dynamiques qui lui étaient propres et le monde qui se déployait pour lui aurait eu une toute autre couleur s’il avait dû être décrit pour d’autres yeux.

Ce fantastique extrêmement intime, ce regard unique et non fiable posé sur le monde, me paraît difficile impossible à réaliser quand il y a plusieurs personnages en jeu. Or, contrairement au jeu vidéo, au cinéma ou à la littérature, il me semble que le JDR produit assez peu de fictions qui tournent autour d’un unique personnage.

Pour la nuance, je reconnais que c’est quelque chose qu’on retrouve surtout dans les jeux à deux ou les jeux solo. Mais dès qu’on joue à trois personnes ou plus, plusieurs personnages prennent fatalement la lumière. Même Bluebeard’s Bride ou Girl underground, qui tournent autour d’un personnage unique, recréent une dynamique de groupe de PJ en le partageant entre plusieurs joueuses (qu’elles incarnent chacune une facette de la Fiancée de Barbe Bleue ou les compagnons de la Petite Fille).

Une dynamique particulière

Partager la charge de MJ pour une joueuse unique a quelque chose qui m’évoque beaucoup la complicité de l’organisation d’un anniversaire surprise.

J’avais déjà goûté le « seul contre tous » dans Perdus sous la pluie, où à chaque tour, tout le monde est MJ pour la joueuse dont c’est le tour. Dans certains jeux sans MJ découpés en scènes, comme Inflorenza, Fiasco ou Bois Dormant (dans des genres très différents) là aussi, à chaque tour, les joueuses peuvent incarner une adversité, un décor, un PNJ pour celle qui est au centre… mais dans tous ces jeux, la dynamique n’a pas cette asymétrie particulière du jeu avec MJ : les rôles tournent, chaque joueuse a son personnage par ailleurs, et il y a une certaine réciprocité en jeu. Le collectif se joue à l’échelle de la table, pas de la-table-moins-un.

Or, l’asymétrie de Weird est fixe : pour toute la partie, une seule joueuse incarne le personnage principal et toutes les autres incarnent « tout le reste » pour elle.

Dans mes parties en ligne, les joueuses qui jouaient le Chœur communiquaient dans un tchat à part pour s’assurer qu’elles étaient sur la même longueur d’onde. IRL, nous nous sommes contentées de jeter un œil aux secrets partagés sur un petit papier, que la Voix ne pouvait pas lire.

J’ai pris le pli de proposer qu’aux deux tiers de la partie, on fasse une pause de 5min pendant laquelle le Chœur se concerte de son côté pour décider ensemble des réponses aux secrets, de ce que cachent les zones d’ombre et d’où va cette histoire.

Il y a quelque chose d’extrêmement plaisant à mettre en commun nos idées, à partager la responsabilité des réponses, et à les faire deviner ensemble à une tierce personne. Et ce dispositif d’un PJ pour plusieurs MJ est assez rare en Jidérie pour que je ne tombe dessus que très récemment, avec Weird, mais aussi Sonja et Conan contre les ninjas, ou encore une magnifique partie de Cités Abîmées (un jeu de Côme Martin dont je te reparlerai).

Cela produit une dynamique qui s’éloigne à la fois de la réciprocité du jeu sans MJ (ou tous MJ) et de ce twist relationnel du jeu traditionnel, où un MJ est à la fois Dieu et martyr, l’autorité et l’abnégation. A la place, voici donc l’anniversaire surprise… parfaitement.

Déresponsabilisation créative

Le concept est de kF, qui l’avait mis à plat au moment de la création de La Clé des nuages. En gros, il s’agit de regarder ce qui permet à chacune de se dédouaner de la qualité de ce qu’on crée, pour lever d’éventuels blocages créatifs.

Par exemple, dans Weird c’est la Voix qui pose l’impulsion, la situation de départ. Mais elle n’est pas responsable de ce qui arrive ensuite, de l’histoire qu’on va raconter. Elle cadre le début puis incarne simplement personnage et suit le mouvement. De l’autre côté, le Chœur rassemble plusieurs joueuses, donc il est plus facile d’y intervenir comme on le souhaite et quand on le souhaite, en comptant sur les autres pour assurer quand on n’est pas inspirée. Et surtout, le Chœur n’a pas élaboré l’histoire en amont, il prend petit à petit le train en marche, il fait avec ce que la Voix a apporté de son côté.

Même chose pour les mystères. Bien que son rôle ressemble à celui d’un MJ, le Chœur n’est pas responsable de trouver des secrets intéressants / profonds / merveilleux à fournir au personnage pour le bien de l’histoire. C’est souvent la Voix qui formule un mystère en rédigeant simplement une question sur un post-it posé sur la table : « que s’est-il passé ? » ou « pourquoi Bélina ne m’aide pas ? ». Et le Chœur peut y écrire la réponse au dos, de façon cachée. La Voix sait alors qu’une réponse à sa question « existe », que cet élément est fixé et qu’elle pourra le découvrir dans la fiction. Ça devient un secret, qui vient d’émerger presque naturellement, et dont la compréhension (ou pas) servira de fil directeur dans la partie.

J’ajoute que petit à petit, il y a un jeu de tension qui s’installe dans cette répartition bizarre des responsabilités : le Chœur commence à stabiliser un ou deux secrets, une version du réel qu’il tente de faire entrevoir à la Voix. Mais il n’a pas le pouvoir d’un MJ, il n’est pas responsable du rythme, du cadrage des scènes… il n’a pas la main pour agir, seulement pour décrire et réagir. C’est la Voix qui dit où commence chaque prochaine scène, où elle veut aller. Au Chœur d’envoyer des messages (comme faire sonner un téléphone, introduire un PNJ) pour guider la Voix vers ses réponses.

Un jeu de petites voix

Weird est un jeu construit autour de parties de la mafia esthétique. Il est fait pour célébrer un style qu’on ne peut pas s’empêcher de jouer ensemble, qui fait la part belle à des interventions proches d’un style indirect libre rôliste.

Dans mes parties de Weird, parce que la Voix est unique et le Chœur est pluriel, il y a une facilité à jouer des « petites voix », des adresses au personnage dont on ne sait pas trop si ce sont ses propres tiraillements intérieurs qui s’expriment, des questions ou des commentaires de joueuses ou d’un narrateur omniscient… « tu sais même pas où tu es », « qu’est-ce que tu vas faire de lui ? ».

Ces petites voix jouent avec la frontière poreuse entre le personnage et le monde, et entretiennent une zone de flou qui est habituellement assez touchy en Jidérie. Les questionnements autour de qui est responsable de quoi sont un marronnier rôliste : est-ce qu’un MJ peut décréter qu’un PJ a peur ou est-ce que ça appartient à la joueuse ? Est-ce qu’un MJ peut décrire des sensations physiques qu’on attribue à la peur ? Est-ce qu’il peut décrire des réactions réflexes d’un PJ en proie à la peur ? Zone touchy. Selon les chapelles, les styles de maîtrise et le jeu des joueuses, on peut ou pas.

Dans Weird on met clairement les pieds de chaque côté de la ligne et c’est un plaisir assez particulier, que je n’avais éprouvé jusqu’ici que dans des jeux à deux où les joueuses se partagent le personnage à tour de rôle comme Dévoyée ou Mort à Venise. Partager un petit bout du personnage alors qu’on est en situation de le malmener, ça provoque chez moi un attachement profond et une empathie particulièrement intense.

Voilà, j’ai joué à Weird et non seulement j’aime beaucoup mais je n’ai pas fini de l’explorer.


La Cour Corbelle de Thomas Munier

Un petit soubresaut de blog pour évoquer une très chouette expérience jouée cette année : j’ai eu la chance de jouer une partie et demie de La Cour Corbelle proposée par Thomas Munier. A ce stade, le jeu est à l’état de notes, je ne sais pas s’il est jouable par un autre MJ que Thomas, mais si ça peut donner envie à certains ou certaines de s’en emparer, c’est cadeau c’est bonheur !

Une invitation à la Cour Corbelle

La guerre des Grours contre les humains a pris un tour particulièrement méchant et les Corax ont décidé de réunir les représentants de toutes leurs philosophies pour voter la participation ou non des Corax à la guerre, et de quel côté et dans quel but.

Le fonctionnement de la Cour Corbelle implique l’invitation de citoyens lambda de toutes les obédiences, choisis ou tirés au sort, pour une nuit où ils pourront rencontrer les représentants. Ces citoyens sont libres et peuvent simplement profiter de la fête, ou poursuivre un but très personnel, ou s’impliquer dans les relations diplomatiques, ou tenter de changer les votes…

Les PJ sont ces citoyens.

La Cour Corbelle est pensé comme un Bac à Sable du Quotidien : un bac à sable dans lequel les PJ peuvent aller vers ce qui les intéresse, sans aucun panneau indicateur car il n’y a pas spécialement d’histoire à raconter. Juste vivre une nuit dans une réalité virtuelle, une nuit d’ivresse et de faste, parmi les oiseaux, les ours, les goupils et les humains.

La Cour Corbelle n’a pas de système de résolution, à la manière du JDR sans règles : la logique fictionnelle fait foi, et l’absence officielle d’intention du MJ (il n’y a pas d’histoire, pas de direction vers laquelle emmener les PJ) est un garde-fou pour la liberté des joueuses.

Une liberté particulière, mais pas feinte

Pour la petite histoire, j’ai joué deux fois à La Cour Corbelle.

La première fois, nous étions 3 joueurs et joueuses et avons passé un certain temps sur la création de personnages (très chouette) et je me suis… endormie après un court temps de jeu, alors que nos PJ arrivaient à la salle de bal. Rien à voir avec de l’ennui ou quoi, j’étais simplement épuisée. J’en suis encore bien désolée pour l’abandon de mes camarades, j’aurais adoré jouer cette partie avec eux en entier. Elle a été apparemment fabuleuse.

La 2e fois, nous étions 3 joueurs et joueuses encore (mais pas les mêmes), nous avons été beaucoup plus rapides sur la création (et j’ai repris le même personnage) et la partie a été là aussi fabuleuse. Mais au fond assez différente de ce que j’avais commencé à jouer précédemment.

Et c’est un point qui me paraît important de souligner : à la manière d’un bac-à-sable en jeu vidéo, la Cour Corbelle était sensiblement la même, à une poignée de détails près, certains dialogues étaient quasiment identiques car nous avons interagi de la même façon avec les mêmes PNJ, le déroulé global de la fête et du fonctionnement des votes était le même. Mon propre personnage était le même. Mais les autres PJ étaient différents, ont impulsé une dynamique différente (entre nous et vis-à-vis de la Cour) et ont entrainé des choix différents.

Dans ma première partie, un PJ général Grours ayant perdu tous ses fils à la guerre s’est particulièrement impliqué dans la diplomatie et les intrigues politiques, rendant très prégnants la violence, l’amertume, la réalité d’une guerre qui remonte jusqu’à la Cour. Le thème était dans le jeu en filigrane, mais c’est lui qui l’a mis sous la lumière.

Dans ma 2e partie, un PJ érudit Grours pataud et sympathique a donné à la partie une dimension à la fois embarrassante et drôle, avec des relations de Cour et des philosophades évoquant plutôt le panier de crabes universitaires que le destin militaire. Là aussi les accroches au protocole, la perfidie de Cour et la philosophie sont des thèmes du jeu, mais c’est ce personnage qui les a provoqués dans la partie, de par ses réactions balourdes et ses propres intentions.

Une particularité d’un bac à sable du quotidien, c’est la garantie que les choses pré-existent à l’arrivée des PJ. Nous étions coincés dans un huis clos particulièrement riche, impossible à saisir en une seule partie, et nos choix nous ont permis d’en découvrir des facettes très différentes.

La liberté dont je parle n’est pas celle de renverser la table, de changer le monde d’un coup de dés, ou d’imposer un virage radical dans une histoire en train de se raconter. Mais nous avions la liberté de nos actes et le respect de nos intentions à défaut de la garantie d’un impact majeur sur l’univers.

J’ai pu choisir où aller et avec qui parler, et le fait d’y jouer deux fois de suite m’a montré que le MJ ne trichait pas en nous recollant les mêmes PNJ sous le nez où qu’on aille, et ne changeait pas non plus les PNJ de place/de thème pour varier d’une partie à l’autre. L’univers était stable. A nous de bouger dedans.

J’ai pu choisir deux fois de suite de ne pas m’impliquer dans ces histoires de votes et de guerre, d’émissaires et de représentants, sans qu’on me fasse sentir que je passais à côté de l’expérience. J’ai pu rencontrer un chirurgien cinglé, tergiverser sur ma propre nature (suis-je une humaine ou un corbeau ? mon corps mérite-t-il d’être choyé ?) sauver une personne qui avait pris soin de moi et me réconcilier avec moi-même. Tout cela a été fort intense et tout cela m’appartenait.

Et à aucun moment je n’ai été invitée à revenir dans les clous (car il n’y avait pas de clous et c’était officiel) ou à rejoindre un minivan.

Un JDR à la manière d’un roman naturaliste du XIXe

Un aspect particulièrement original de La Cour Corbelle, et qui en fait à mon avis le très grand intérêt, c’est le style choisi par Thomas dans sa maîtrise.

La Cour Corbelle est un festival de description. Pas de haut potentiel ludique ici, mais des tableaux extrêmement détaillés, ou ces longues descriptions des romans du XIXe, qui s’attardent sur les éclats de lumière des gouttes d’une fontaine et des coupes de cristal, sur toutes ces tenues extravagantes, dans leur variété de coupes, de tissus, de boutons ou de rubans, sur les coiffures et les plumages, les dorures, etc. Certaine parlerait de description-porn.

Pour une joueuse narrativo-vegan en goguette, je ne cache pas qu’il y a eu un pli à prendre pour accueillir le truc. Sur la première partie, il m’a fallu du temps pour entrer dans le rythme particulier de ces échanges, où le MJ prend un temps infini de description et le reprend encore et encore, à chaque fois que les personnages posent les yeux sur une nouvelle merveille à découvrir. La première demi-heure de jeu a été presque douloureuse, à attendre qu’on me rende la parole à chaque fois, à vouloir que ce flot s’abrège.

Et puis je me suis laissée séduire par ces volumes d’échanges asymétriques (le MJ parle beaucoup et les joueuses assez peu en comparaison) parce que l’action elle-même était lente. Il ne s’agissait pas de voir une narration se dérouler sous nos yeux sans pouvoir intervenir, ce qui m’aurait fait suffoquer, mais de regarder se déployer un univers particulièrement précis et riche, qui nous attendait pour qu’on interagisse avec lui.

Sur la 2e partie, j’étais préparée à ce rythme-là et j’en ai profité dès le début, tout en voyant un autre joueur éprouver exactement les mêmes difficultés que ma première fois. Et se faire apprivoiser à son tour.

Cette déstabilisation de joueuse m’a fait réaliser que dans mes cercles, la volubilité d’un MJ n’est pas valorisée. Il semble aller de soi qu’être MJ c’est déjà prendre beaucoup (voire trop) de place et qu’il faut essayer de faire court et efficace, pour laisser au maximum la main aux joueuses. Je trouve intéressant de noter que, quand elle est maîtrisée, quand elle correspond à une ambiance particulière et qu’elle ne confisque pas la narration ni ne contraint les choix des joueuses, cette disproportion de description peut être absolument plaisante.

Et elle implique un style partagé. Puisque notre fenêtre de parole à nous joueuses est réduite, nous avons spontannément mobilisé un certain style d’interactions :

  • Jouer avec nos corps : de fait, nous avons spontanément pris des postures, échangé des regards ou fait des gestes qui étaient clairement ceux de nos personnages. Sans forcément tomber dans le GN, mais en incarnant un peu plus (parfois beaucoup plus) que ce nous faisions habituellement en JDR ;
  • Ponctuer les descriptions de réactions très claires et courtes, façon sniper ;
  • Savourer les dialogues : le dialogue en discours direct étant le moment où le ping-pong retrouve sa symétrie, puisque chacun parle autant que son perso, PJ ou PNJ, ce temps-là avait une saveur toute particulière.

Ce qui amène aussi de très beaux moments presque théâtraux, où après un coup d’œil fictionnel qui s’étire le temps d’une longue description à la table, joueuses et personnages se superposent totalement le temps d’un dialogue, puis à nouveau le temps s’étire, etc. Et cette alternance joue à mon avis énormément dans les très belles sensations et l’originalité que j’ai trouvées dans ces parties.

Voilà, j’ai joué à La Cour Corbelle et j’ai beaucoup aimé.


PbtA Participatif (CR)

Une partie expérimentale proposée par kF, dont le principe est simple : chaque joueuse ramène un playbook d’un jeu Powered by the Apocalypse (PbtA, un dérivé d’Apocalypse World) ou un jeu Belonging Outside Belonging (BoB, dérivé de Dream Askew) et on essaie de jouer ensemble sans se concerter en amont.

La partie a été un beau succès pour moi, j’ai beaucoup aimé la façon dont des univers différents se percutaient sans virer au gonzo, j’ai beaucoup aimé les relations entre nos persos et la façon dont on s’appuyait sur un move issu d’un jeu ou un autre selon les situations… J’en fais ici un bref compte-rendu pour garder une trace. Je pense qu’on essaiera de reproduire l’expérience en croisant d’autres univers et en (se) préparant peut-être un chouia plus, notamment pour maîtriser chacune un peu mieux les moves de base du jeu dont provient notre playbook.

Le contexte

On était 4, et 3 d’entre nous avions joué une partie de Nahual la veille (ça aura son importance).

Dans le doute, on avait ramené différents livrets. Il y avait du Pasion de las pasiones, De bile et d’acier, Girl undergound, Dominion, Bois Dormant, Dirty Little Town, Apocalypse World, Nahual, Monsterhearts, Velvet Glove… et j’en oublie.

J’ai choisi le Biker d’Apocalypse World et gardé le livret du Jaguar de Nahual sous la main… au cas où. Une joueuse a pris la Maniac de Velvet Glove (Ange), une autre le Vampire de Monsterhearts (Clayton), une autre enfin a créée deux jumelles, mi-Maîtresse Espionne de Dominion, mi-Serpiente de Nahual (Lura & Yalu).

Sur la table, on avait également la liste des moves de Monsterhearts et de Nahual. Et cet incroyable bot de création de moves aléatoires, que nous n’avons pas utilisé finalement. La feuille des moves principaux d’Apocalypse World aurait été bienvenue aussi, c’est noté pour une prochaine fois.

Worldbuilding et persos

On a rempli nos livrets sans se concerter. Le perso que j’ai créé était très similaire à celui joué la veille, jusque dans les prénoms (Rose pour la bikeuse, Rosario pour le Jaguar).

La joueuse de Clayton a posé sur la table un morceau de feuille correspondant à son Manoir comme le Domaine/Cadre d’un BoB. J’ai déchiré la partie de mon playbook correspondant à mon Gang et ma Bécane et fait pareil. Ce qui nous a amenées chacune à esquisser une ambiance un peu bizarre de château gothique assiégé par un gang de bikeuses auto-proclamé les Archanges, qui chassent les créatures de la nuit. Les deux autres joueuses ont aussitôt rejoint le gang (Yalu mon bras droit, et Ange la petite dernière).

On est passé aux relations, en se posant les traditionnelles questions de nos livrets. Tout matchait impeccable.

Clayton a fait partie du gang au tout début, et l’a quitté (ou s’est fait virer) quand Rose a compris que c’était un vampire.

Ange et Lura se sont introduites dans le manoir pour voler des trucs. Quand elles se sont fait surprendre, Lura a balancé Ange qui s’est retrouvée à l’hosto, et s’est fiancée à Clayton.

Yalu (qui déteste sa sœur jumelle) a aidé Ange à se sortir de l’hôpital, des questions des flics et de l’attention des services sociaux.

Elle a aussi poussé Rose à buter Goldie son ancienne seconde pour piquer la place. Rose s’en doute, mais préfère garder Yalu près d’elle pour contrôler un peu les emmerdes.

Ange a pété le nez de Rose dans une rixe de bar, c’est comme ça qu’elle a intégré le gang, Rose se découvrant une affection pour le cran de la gamine.

Yalu vit dans une station de métro abandonnée qui jouxte le manoir. Et qui communique avec les oubliettes, où dorment de vieux vampires qui ne sortent plus du tout. Elle y a pris soin de Clayton pendant un temps.

Le gang a fini d’écumer la région et a planté la dernière goule sur une porte. Il reste le manoir…

Le dispositif

On n’a pas exactement de MJ mais une joueuse propose de prendre la responsabilité de l’univers en plus de son PJ, comme si c’était l’ensemble des cadres d’un BoB. Elle précise de ne pas hésiter à nous emparer des aspects du monde qui nous bottent, au fur et à mesure de la partie. 

Machinalement on se retrouve à jouer un peu comme à Bois Dormant : si une joueuse a une idée, elle se lance pour cadrer une scène, sans ordre particulier ni tour de jeu.

On mobilise des moves à l’envi et, sans qu’on ait eu besoin de le préciser, c’est toujours une autre personne que la joueuse concernée qui interprète le résultat d’un 6-.

La partie

[Pour la retranscription, j’essaie de noter en jaune les moves qui appartiennent à Nahual, en vert les moves qui appartiennent à Velvet glove, et en rouge les moves de Monsterhearts. J’ai noté en italiques certains éléments issus des livrets. Il manque les mentions des coches de stress, d’xp, et les attaches… mais mes souvenirs sont trop flous. Néanmoins, tout ça a été utilisé.]

Clayton a garé sa Rolls Royce au milieu du bivouac du gang. Un peu à l’écart, il se nourrit sur Yalu. Il ne la voit pas enfiler d’une main un masque de serpent. Elle appelle son Nahual et sonde les émotions du vampire. Elle perçoit l’affadissement général et l’ennui qui le gagnent ces derniers temps. Elle lui demande s’il a déjà transformé sa sœur. Il lui annonce que oui, c’est elle qui l’a demandé. Il a soudain la vision d’un sang vif, frais et pur, une éclaboussure contre un mur, une flaque qui se répand sur le sol.

Rose abat sa barre à mine sur la rolls de Clayton au moment où il revient, histoire de faire passer un message. Elle lui ordonne de jamais refoutre les pieds ici. Il ne se laisse pas impressionner et dans la proximité de leur face à face, elle avoue qu’elle aurait dû le tuer il y a longtemps mais qu’elle ne peut pas s’y résoudre.

Ange s’est fait alpaguer par le mec d’une boutique de spiritueux et elle se débat pendant que ses copines dévalisent le magasin dans son dos. Dehors, dans un ronronnement croissant, plusieurs motos s’arrêtent devant la boutique. Ange sort son poing américain et frappe, mais elle se prend une mandale en retour qui lui cogne la tête contre le carrelage. Un sang vif, frais et pur a éclaboussé le mur et se répand sur le sol. Dans le brouillard, elle entend les protestations de ses copines, le vrombissement des moteurs. Elle sent qu’on la colle en travers d’une bécane et rideau.

[Pack Alpha, un move spécial de Biker] Barb a ramené Ange devant Rose et réclame un exemple. Rose se contente de lui passer un savon. Ange vire ses deux copines et se tire pour pleurer loin des regards.

Clayton surgit de nulle part, princier, avec deux coupes de vin. Ange lui arrache sa bouteille et boit au goulot. Elle tente de l’embrasser. Il va pour la repousser mais fixe le sang sur ses poings.

– Alors tu te décides ?

– ?

– Tu m’embrasses ou tu me tues ?

Quand il s’en va, elle boit sa coupe, avec plus de délicatesse qu’elle n’en a montré jusqu’ici.

Au plus profond du manoir, il y a une pièce sombre appelée le Conclave. Et derrière encore, il y a celle dans laquelle le Sénéchal joue une partie d’échecs.

Yalu s’adresse à Rose devant les bikeuses. Un discours belliqueux et galvanisant que Rose aurait aimé éviter. Elle ne peut plus dévier la menace sur un loup-garou, une goule ou un autre bouc-émissaire comme elle l’a fait jusqu’ici. Pour ne pas perdre son autorité, elle annonce que ce matin, elles vont chasser du vampire ! Et elle enfile son casque, constellé de taches de jaguar [je switche avec le livret du Jaguar de Nahual]

Ange réclame un casque à Barb qui la renvoie bouler. Elle le lui vole dans un moment d’inattention. Quand elle l’enfile, [la joueuse d’Ange prend le livret du Perro, qu’on appellera Coyote ensuite] le monde déploie de toutes nouvelles sensations. Elle appelle le Coyote à elle et file à pieds, à la même vitesse que les motos.

Yalu s’est engagée à leur ouvrir la porte de l’intérieur. Elle passe par la station de métro abandonnée, les oubliettes où des yeux s’ouvrent dans le noir. Mais elle porte la marque de Clayton qui s’est nourri sur elle alors aucun vieux vampire ne la touche. Elle découvre que Clayton s’est tiré et qu’il a laissé Lura assise sur un l’un des hauts sièges, hébétée par sa récente transformation.

Dans la petite pièce derrière le Conclave, une main a fait roquer la Tour et le Roi.

Yalu entrouvre la grande porte et annonce à Rose que Clayton n’est pas là mais qu’il reste un vampire à buter.

[La joueuse de Clayton attrape le livret de La Monstruosité]. Dans le dos de Yalu, on entend comme un pas extrêmement lourd et le sol tremble. Le gang déboule à moto dans l’immense salle de bal du manoir. Dans la lumière des lustres et des bougies, une petite silhouette semble terrifiée. Rosario l’aligne avec son arbalète. La silhouette se révèle être Lura, qui bafouille qu’elle ne comprend pas… Elle tend la main pour réclamer de l’aide et fait encore un pas. Le sol tremble sous son poids et son ombre est immense… Rosario tire sans broncher, et vise le coeur. [Apex predator du Jaguar : en nous basant sur le système de dégâts de Nahual, on coche toutes les cases de l’Aqualung de la Monstruosité]. L’ombre s’écaille sur les murs et tombe en poussière comme une peinture trop vieille.

Le carreau s’est fiché dans la poitrine de Lura, et Yalu la rattrape au vol quand elle s’effondre. Elle prend sa sœur dans ses bras : « Je suis si heureuse d’être là pour te regarder mourir ». Et elle pense fort à Clayton, qu’il sache ce qu’elle a fait.

Pendant ce temps, Rosario hèle Ange pour descendre au caveau. Ange relâche le Coyote et file à la suite d’une odeur… pendant que l’illusion se dissipe et les bikeuses réalisent que Clayton les a dupées, la salle de bal est réalité une ancienne petite église aux marges du manoir… Barb attrape un jerrican d’essence et commence à tout arroser « vu que l’endroit est maudit ».

Les flammes s’élèvent. Yalu enterre sa sœur dans le petit cimetière attenant à l’église. Puis, parmi les croix et les stèles effacées, elle en choisit une sur laquelle elle prend le temps de graver la silhouette d’un oiseau, prédateur du serpent.

Ange est coincée dans le casque de Coyote. Malgré elle, elle fonce vers le vrai manoir, passe à travers la grille et déboule dans le hall. Clayton l’accueille en haut d’un escalier d’apparat surmonté d’un tableau représentant un corbeau. Elle réussit à s’arracher le casque qui va rouler au loin (et finit sa course aux pieds de Barb, près de l’église en flammes).

Ange réclame la jeunesse éternelle pour jamais devenir comme Rose et les autres. Clayton lui propose de rencontrer ceux qui peuvent la lui offrir. Au plus profond du manoir, il y a une porte surmontée des mots « Le Conclave ». À l’intérieur c’est le noir total. Les voix des vieux vampires la jaugent. Lui demandent ce qu’elle a à offrir pour ne pas vieillir. Réclament qu’elle revienne avec le cœur de Rose comme preuve de sa bonne volonté. Ange s’enfuit.

Appuyée à sa bécane, Rosario ouvre les portes de la perception pour retrouver Ange ou Clayton. Elle se retrouve elle aussi jugée dans le noir par le Conclave. Elle sait désormais qu’il y a une pièce derrière celle-ci où un joueur d’échec tire les ficelles. C’est lui le véritable ennemi. [je coche la condition « Hantée »].

Yalu se fait un fix de poudre d’ange pour regarder dans l’Abysse. Elle se retrouve dans le noir, oppressée, ses mains griffant la terre au-dessus d’elle. Elle entend la voix de sa sœur lui dire « Je suis si heureuse de te regarder mourir ». Elle a de la terre dans la bouche, elle étouffe. Elle réalise ce que « immortelle » veut dire pour Lura désormais…

Rosario fonce vers le vrai manoir. Elle rejoint la Rolls Royce de Clayton et les bikeuses l’encerclent.

Puis, sans se préoccuper de back-up elle fonce seule vers le vrai manoir. A l’approche de la grille d’entrée, elle saute de sa moto et l’escalade avec une souplesse improbable et retombe de l’autre côté. Elle est déjà repartie quand la moto explose la grille.

Clayton rejoint Yalu près de la tombe de sa soeur. Il prend soin d’elle et boit son sang, qui contient encore la poudre d’ange. Clayton à son tour a des hallucinations et un moment de plaisir. Avec Yalu, il entre dans le manoir et son regard s’arrête sur l’étrange masque de corbeau au-dessus de la porte. [la joueuse de Clayton prend le livret de l’Aigle de Nahual]

A l’intérieur du manoir, Ange est vénère. Elle a finit par trouver une cuisine et ouvert le gaz à fond. Rosario la récupère en train de rager contre un briquet qui refuse de s’allumer. « Tu comprends pas, Rose ! Ils voulaient te tuer ! Ils voulaient te tuer ! ». Rosario la jette sur son épaule et court en sens inverse. « Quand on ouvre le gaz, on jette le briquet par une fenêtre depuis l’extérieur, andouille ! ». Mais le briquet finit par claquer une étincelle. L’explosion les projette dehors toutes les deux.

Le manoir tremble sur ses bases et toute une partie s’affaisse. Rose éclate d’un rire nerveux en enlaçant Ange, Ange éclate en sanglots en s’agrippant à Rose.

Sur les décombres du manoir, Clayton, qui a désormais une tête de corbeau, allume une cigarette et regarde s’éloigner le gang de bikeuses.

Dans la petite pièce derrière le Conclave, le plateau d’échec a été ébranlé. Une main époussette les cases, un souffle efface la poussière sur les pièces. Le cavalier blanc perd ses taches de jaguar. Le cavalier noir conserve ses plumes corbeau. Et le Sénéchal les dispose une à une, pour une nouvelle partie à venir.