Les ateliers 6

« tuto : monte toi-même ton atelier »

Hop ! Petit point pragmatique qui s’appuie sur les exemples du dernier billet pour expliquer comment j’envisage la construction d’un atelier et deux ou trois bricoles à prendre en compte quand je le fais.

 

Penser une progression

Si on veut rigoler sur le vocabulaire, dans ma ligue de théâtre d’impro, l’atelier c’était l’entraînement hebdomadaire. Donc pas l’exercice en lui-même, mais une succession d’exercices pendant 2h, a priori conçue avec une progression et un thème principal : le groupe, l’écoute, la construction d’histoire, les débuts qui claquent, le personnage, la comedia del arte, les impros à 12 joueurs, la baston, les émotions, etc. Dans l’idée, on commençait par un échauffement et on terminait par des vraies impros.

Je ne sais pas si c’est la même en GN mais, déformation oblige, moi c’est un peu comme ça que j’envisage un atelier en JDR :

Atelier 1 : faire connaissance, briser la glace, s’échauffer et/ou se défouler, accorder nos imaginaires.

De tous les retours qui m’ont été faits, c’est l’apport le plus apprécié, surtout si les joueuses ne se connaissent pas au préalable. Ça permet de voir comment les autres abordent le jeu, de se concentrer et se rendre disponible, coordonner les énergies des joueuses (celle-ci arrive toute excitée, celle-là a besoin de temps pour s’y mettre), coordonner les imaginaires (il y a plusieurs façons d’envisager une inspiration, un décor, un jeu, et c’est bien qu’on parte tous sur la même interprétation pour la partie).

Un point qui fait débat : pour moi c’est appréciable de cramer les premières idées qui viennent, parce que les suivantes seront meilleures. D’autres joueurs, au contraire, ont regretté de ne pas pouvoir exploiter leurs premières idées et devoir reprendre à zéro ensuite pour la partie.

 

Atelier 2 : travailler un ou deux points précis (des possibilités ouvertes par des mécaniques de jeu particulières, des techniques de joueurs, un univers/un personnage, etc.), tester les limites (celles du jeu et éventuellement celles des joueuses).

Attention, quand je parle de progression, c’est une progression globale des exercices. Prévoir une graduation à l’intérieur d’un même exercice, par exemple pour faire monter les curseurs d’un malaise et voir jusqu’où chacun peut aller, ça ne me paraît pas un bon plan. Parce que celui ou celle qui stoppe très tôt l’exercice peut le vivre comme un échec, ou en tout cas sentir cette pression de l’échec. Alors que si les balles partent un peu dans tous les sens, et qu’on peut voir ensemble ce qui est rattrapé et ce qui ne l’est pas, on a aussi une bonne vision de certaines limites, mais en random. Sans notion d’échec, juste « non merci », « ça oui, ça non ».

Important : prévoir un moment de retour sur l’atelier avant la pause, que chacun puisse dire comment il l’a vécu, et comment il envisage la partie à venir, les cordes sensibles qu’on aimerait voir vibrer, celles qu’on préfère protéger, etc. J’ai omis de le proposer sur une de mes tables Inflorenza/Patient 13 (pour cause de timing) et ça nous a manqué.

Pause. On se lève, on va aux toilettes, on mange un truc ou on fait chauffer de l’eau pour le thé. Mais on se détend 5 minutes avant de s’y remettre.

 

Calibrer pour la partie à venir (selon le jeu et les joueuses)

Le principe des ateliers, c’est qu’il y en a pour tout et n’importe quoi, selon ce qu’on veut bosser ou ce sur quoi on va mettre l’accent dans la partie ensuite.

Pour moi, l’atelier introduit le fait de se mettre confortable avec un effet de narration, une mécanique, une émotion, une dynamique de table… mais c’est aussi une invitation à réutiliser certaines techniques ou certains effets en jeu ensuite. Si on travaille les flashbacks et ellipses en atelier par exemple, c’est avant tout pour que les joueuses s’en emparent et en proposent ensuite dans la partie.

Du coup, ça se réfléchit un peu. Si je propose un atelier centré sur les relations inter-PJ parce que je trouve ça chouette, mais que la partie qui suit c’est du scénario d’enquête en mode puzzle… j’envoie des signaux contradictoires.

L’idéal, ce serait bien sûr que les auteurs fournissent une série d’ateliers spécialement calibrés pour leur jeu. Mais en attendant, c’est à nous joueuses de bricoler avec ça, et tu sais quoi ? Au fond, ça ne me déplaît pas. A nous de nous demander ce dont nous aurions besoin pour la partie à venir, et donc de réfléchir à ce que nous voulons faire ensemble avec tel ou tel jeu.

 

Un timing annoncé

Sur les variations de timing, je n’ai pas testé suffisamment de temps différents pour donner un avis éclairé. Entre 10 et 30 minutes, ça me paraît un bon format pour un atelier pré-one-shot. Une session entière pour un atelier pré-campagne, ça ne me paraît pas déconnant non plus. A condition qu’on ne fasse pas 1 session créa de personnage, 1 session worldbuilding, 1 session atelier, là ça commence à faire beaucoup.

Par contre, prévenir du timing, ça me semble primordial. Savoir que ce soir on vient à la session atelier et pas qu’on va jouer direct, ça change pas mal les attentes. Et savoir que l’atelier va durer 10 minutes, ça rend le truc beaucoup plus acceptable si au départ on était peu convaincu.

Au contraire, on peut se permettre de pousser à 30 min ou plus si les joueurs y prennent un vrai plaisir de jeu. Par exemple en profitant de l’espace d’expérimentation en lui-même et pour lui-même, sans que ce soit juste une préparation à la partie à venir.

 

La joueuse que je suis n’est pas moi (!)

Proposer des ateliers issus de mes stages d’impro à ma table a provoqué des réactions auxquelles je ne m’attendais pas. Notamment des malentendus sur la question de « mais ça tu le joues en tant joueuse ou personnage ? ».

Et voici mon épiphanie de l’été : en impro, une joueuse laisse au vestiaire sa vraie vie et la personne qu’elle est tous les jours. Pendant un exercice, même quand il n’y a pas de personnage explicite ou pré-défini, elle joue. Rien n’est vérité-vraie, tout est balle à lancer et à rattraper.

Si on demande à une improvisatrice de dire « je t’aime » lors d’un exercice, elle va se demander comment le dire pour que ça raconte une histoire. Quand j’ai proposé à des rôlistes de le dire, ils m’ont répondu : « euh, qui ça ? moi ou mon PJ ? ».

C’est probablement la différence entre « jouer avec sincérité » et « être sincère ». Et c’est de mon point de vue ce qui permet de travailler sur des choses un peu délicates. Dire « je t’aime » à quelqu’un, par exemple, devient possible pour moi si on sait tous que ce n’est pas Eugénie qui s’adresse réellement à telle autre joueuse, mais qu’on joue avec la phrase, qu’on essaie juste de la prononcer, de la charger, de varier dessus.

Et c’est une chose qui me paraît importante à garder en tête pour la suite, notamment pour envisager certains exercices en amont de la création de personnage.

Précautions à prendre :
– on n’utilise pas les vrais prénoms dans l’exercice ;
– on ne prend pas des situations réelles mais des situations volontairement fictives : si je dois jouer un conflit, j’évite de prendre des raisons issues de notre relation réelle pour pourrir une joueuse ; si je dois dire quelque chose de gentil à quelqu’un, j’invente un truc qui n’est pas lié à notre présent ou passé immédiat (« mmm il était bon ton gâteau », alors que la joueuse n’a pas partagé de gâteau récemment avec nous).
– on évite d’en faire des caisses en commentaire (ouuh Eugénie lui a dit « je t’aime », lalalalala)

J’imagine que dans le GN dit « à chouine », où on va chercher l’expérience au plus près de la sensibilité des joueuses, au contraire certains ateliers préconisent d’aller d’abord chercher dans le vécu. Perso, c’est pas mon trip.

 

Allez, on en voit la fin, il me reste encore la question de la transmission et je ne t’embête plus avec ça.

 

crédit photo : fossilmike (CC BY 2.0)


4 responses to “Les ateliers 6

  • KamiSeiTo

    Mais si Eugénie ! Embête-moi avec ça !!! ^^

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  • Matthieu

    Excellent !

    « Rien n’est vérité-vraie, tout est balle à lancer et à rattraper. »
    Je n’ai pas encore rencontré ce type de remarque, mais en effet comme tu l’écris si bien, il semble important de rappeler qu’il s’agit, comme la partie qui va suivre, d’un jeu.

    L’effet peut être encore décuplé si tu joues avec un groupe composé essentiellement d’inconnues sur Hangout.

    Mais une fois la glace brisée, que de temps gagné ! et bonjour l’empathie entre les joueuses qui ne se connaissaient pas 15 minutes plus tôt.

    Selon moi, la clef étant alors de laisser chacune s’exprimer à la suite de l’atelier pour être certains que tout le monde est sur la même longueur d’onde.

    Notamment si tu fais un atelier autour d’une expression forte, comme de l’engueulade ou de la drague.

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    • Eugénie

      « Selon moi, la clef étant alors de laisser chacune s’exprimer à la suite de l’atelier pour être certains que tout le monde est sur la même longueur d’onde. » Carrément, et pas juste pour l’engueulade et la drague mais pour à peu près tout en fait.
      Sur En direct de Pyongyang, c’est ce retour qui m’a permis de savoir que le joueur de l’Expert était super à l’aise pour broder avec n’importe quoi (ce dont je ne m’étais pas rendu compte moi-même, occupée à gérer mes propres problèmes de prise de parole).
      Sur Inflorenza Patient 13, un joueur a été un peu frustré que nous n’approchions pas de ses limites pendant l’atelier, et ce temps de retour lui aurait permis de mentionner les cordes sensibles que nous n’avions pas vues ou pas osé toucher.
      Donc oui, c’est super important, je plussoie ! :)

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