Rédiger un jeu 2

Exemples en pagaille

Deuxième round sur la rédaction d’un jeu, parce que pourquoi pas ? En dézoomant un peu cette fois, et en regardant ces morceaux que 2/3 des rôlistes ne lisent pas : l’exemple de partie et les exemples en général.

Si tu prends le train en cours de route, revoilà les disclaimers qui vont bien :

Disclaimer 1 : c’est beaucoup mes goûts à moi de lectrice, et je ne suis pas une lectrice de JDR à la base.

Disclaimer 2 : Les exemples que je donne viennent de textes des copaines avec qui j’ai travaillé (Côme, kF, Melville, Milouch, Thomas) donc essentiellement de la collection Jydérie (mais pas que) que je codirige.

L’exemple de partie

C’est un peu la tarte à la crème du jeu indé : dans toute base, il y a un moment où Brian, Bashir et Brenda décident de jouer une partie ensemble et c’est rarement enthousiasmant à lire. Je suis devenue un peu allergique à ce passage obligé.

Mais il y a des astuces pour me le faire avaler : 

faire que ça sonne « vrai ». Souvent ce sont des exemples de parties en carton, où rien ne se passe comme à une vraie table de JDR. Comme dans un spot de prévention, l’exemplification passe avant la justesse ou la réalité. Je crois que si l’auteurice se donne du mal pour que ça évoque de vraies parties, en essayant de reproduire leur côté vécu, un peu brouillon et un peu tendre, on s’assure que l’exemple sera lu, et peut-être mieux retenu aussi.

C’est ce que fait Thomas Munier dans Marchebranche, à mon sens, où il met en scène une meneuse préparant sa partie, puis la façon dont les joueuses la jouent. Il y a assez peu de discours direct : il ne reproduit pas tant les paroles des joueuses que les actions de leurs marchebranches et les arbitrages de Confidence. L’auteur est autant à fond dans la partie que les joueuses, avec des points d’exclamations sur un jet de dés !

le rendre transparent : à l’opposé, dans La Grive noire, Milouch reproduit les mots échangés d’une partie quasiment sans didascalies, sans expliquer « Brian hésite puis il choisit de… », « Bashir est plutôt d’accord et répond que… ». Dans la mesure où La Grive est un jeu poétique, où les règles façonnent les phrases qu’on produit, c’est ça qu’on regarde dans l’exemple de partie. Et elles sont données telles qu’elles, brutes et belles.

en faire une fiction qui a son sens : dans Cités abîmées de Côme Martin, c’est le narrateur qui propose à la Voyageuse de jouer une partie « pour voir », puis devant son manque de réaction, il fait les choses à sa place, en endossant tous les rôles (spoiler : elle finit par l’enfermer dans son wagon avant de s’enfuir).

Il y a aussi des façons de faire sans. Dans La Clé des nuages, kF ne propose pas d’exemple de partie, mais un chapitre de conseils pour répondre aux potentiels problèmes qui pourraient se poser pendant le jeu. C’est une volonté particulière aussi de ne pas « figer le jeu », de laisser la porte explicitement ouverte à 1 000 façons de s’en emparer.

Les exemples dans un jeu

C’est le truc qui te fait exploser le volume d’un texte, qui peut te noyer tes points de règles importants et qui n’est pas lu par plein de rôlistes qui pensent avoir compris du premier coup. Là aussi il y a un tiraillement entre passage obligé à la rédaction et lecture en diagonale en réalité. Il y a la trouille que si tout n’est pas exemplifié, alors des lecteurices vont rester sur le carreau, ou que telle exception ou telle nuance ne seront pas bien prises en compte… mais plus y il a d’exemples plus on sature cognitivement et moins on les retient.

De ce tiraillement, je ressors un certain nombre de questions.

Est-ce que c’est bien un exemple ?

S’il contient un point de règle ou une exception qui ne sont pas présents dans le corps des règles, ça mérite d’être reformulé en point de règle directement, pour être retrouvé plus facilement. 

Est-ce qu’il est utile ?

C’est-à-dire est-ce qu’il améliore la compréhension ? Parfois on a des règles simples à comprendre suivies d’un exemple trivial qui dit grosso modo la même chose. Ça donne une impression de redondance (cf billet précédent) plutôt qu’une explication nécessaire.

J’ajoute : qu’est-ce qu’il est sensé exemplifier et est-ce qu’il le fait réellement ? D’une part, il arrive qu’à force de réécrire la situation pour la rendre plus lisible, plus intéressante ou plus vivante, on se rend compte qu’elle ne montre plus le point de règle qu’on voulait souligner. D’autre part, il arrive que l’exemple contredise la règle. Si c’est une exception, ça vaut le coup de bien la baliser ; si c’est une incohérence, ça vaut le coup de se poser réellement la question : on réécrit l’exemple ou la règle ?

Et est-ce qu’il exemplifie quelque chose qui n’est pas déjà montré dans un exemple précédent ? Si plusieurs exemples montrent globalement la même chose, j’aurais tendance à proposer de n’en garder qu’un, quitte à perdre en nuance ou en variété des situations proposées. Parfois c’est aussi une question de variété de thématiques d’exemple en exemple : si on veut montrer l’étendue des possibles, toujours utiliser le même type de situation ou de conflit, ou le même motif thématique, c’est un peu dommage. (Ou alors fais-le avec style)

Est-ce que ce petit morceau de fiction est intéressant en lui-même ?

Comme pour l’exemple de partie, j’ai besoin de quelque chose qui mette mon imagination en mouvement, pas d’un plan de montage ikea : est-ce qu’il évoque un lieu original, un personnage haut en couleurs, une situation fertile, etc. ?

Marchebranche, de Thomas Munier, est émaillé de petits exemples liés à l’utilisation de tables aléatoires, pour montrer ce que des tirages peuvent donner en terme de situations ou de fiction. On a énormément travaillé pour qu’ils soient tous chouettes à lire. Plus que des exemples, ce sont des bribes de lore, des idées qui fourmillent, des ruptures de ton.

Est-ce qu’il est court ?

Si l’exemple décrit tout un tour de table, est-ce que chaque instance apporte quelque chose ? Si l’exemple déroule toute une scène, est-ce le début, le milieu et la fin apportent tous quelque chose ?

Est-ce qu’il a une forme adéquate ?

Parfois, le texte n’est pas le meilleur moyen de présenter un exemple. Un schéma peut fonctionner de façon beaucoup plus efficace, notamment pour tout ce qui est relations entre PJ, mais pas uniquement. Dans Cités abîmées, l’articulation entre tirages de cartes et fiches de Cité et de Voyageurs est explicité par des schémas.

Est-ce qu’il est repérable ?

En terme de maquette, c’est important de permettre à l’œil de passer facilement au point de règle suivant si la lectrice ne veut pas s’embarrasser à le lire. 

Dans La Clé des nuages, les exemples sont des morceaux de fiction brute, avec une mise en page à part (retrait et italiques).

Dans Bois Dormant de Melville, tous les exemples sont concentrés dans un exemple de partie filé à la fin de chaque grande partie et identifié.

Dans Cités abîmées, nous avons fait le choix de garder un flot de texte continu, en comptant sur le fait qu’il est court et que le résumé permet de retrouver facilement les règles. 

Rien de tout cela n’est une Bible. Il y a des choix différents selon le style de l’auteur, les partis pris du texte, l’ambiance du jeu… bref le contexte. Mais les questions, elles valent toujours le coup d’être posées amha.

crédit réflexion : kF, Milouch

crédit photo : Daniel Silliman (CC BY-NC-ND 2.0)


4 responses to “Rédiger un jeu 2

Laisser un commentaire