… moi aussi je joue ma partie une à deux fois par semaine.

D’où elle parle

Je suis techniquement une jeune conne du jdr.

J’ai découvert le jeu de rôle il y a un peu moins de trois ans, donc relativement récemment. Je n’ai jamais joué en convention ou en club ou avec des inconnus. Je joue toujours avec les mêmes personnes depuis trois ans (avec quelques guests et quelques absents, mais ça bouge peu). Et nous jouons beaucoup en campagne, ce qui ne permet pas forcément de tester un max de jeux.

[edit 2017 : pour ceux qui découvriraient ce blog aujourd’hui, je dois signaler que j’ai grandi depuis cette présentation, et ma pratique a évolué. Depuis un an notamment, les conditions dans lesquelles je joue ont radicalement changé : je joue beaucoup plus qu’avant, à plus de jeux (beaucoup d’indé et quelques playtests, assez peu de mainstream finalement, le ratio s’est inversé), mes parties ont lieu aujourd’hui autant sur hangout qu’IRL, et je croise au final pas mal de joueurs (trop peu de joueuses), même si je ne joue régulièrement qu’avec toujours un peu les mêmes.]

J’envisage le jdr à hauteur de joueuse. Ce n’est pas tant une pratique d’écriture que de jeu. La partie « création », qui occupe une grande place en théorie, me concerne peu finalement, parce qu’il faudrait que je devienne MJ ou auteur pour la comprendre et l’utiliser pleinement. Les mécaniques des jeux ou les techniques de MJ ne sont pas à ma portée.

Le souci, quand on n’est que joueur, c’est qu’on manque de comparaisons pour prendre en main sa pratique. J’ai l’impression que, machinalement, on repousse le joueur vers un statut de joueur de jeu de plateau (jouer les règles en bonne intelligence) ou de lecteur/spectateur (vivre pleinement une expérience conçue pour lui, par un MJ ou un auteur). Or, arrivant de l’improvisation théâtrale, je me suis construit une conception du jdr comme une pratique artistique ou sportive*, avec tout ce que ça implique d’entraînement, de réflexion, de progression, de recherche et de dépassement de soi.

(*)Pour éviter un malentendu : quand je parle de pratique sportive, je n’inclus pas la dimension compétition, ni la performance individuelle.

D’où quelques notions très personnelles sur le jeu en jdr… On m’a fait remarquer que ça pourrait être intéressant de les faire partager. Et accessoirement que ça permettrait d’amorcer un dialogue où peut-être que des vrais rôlistes en viendraient à s’exprimer à leur tour, et à me donner des trucs pour progresser dans ma pratique.

2 – Devenir une bonne joueuse

Je suis mordue, accroc. J’ai fait d’énormes progrès depuis que j’ai commencé à jouer. Je ne suis pas encore l’excellente joueuse que je voudrais devenir mais j’y travaille.

Qu’est-ce que ça veut dire « excellente joueuse » ?

Les qualités auxquelles on pense immédiatement (l’astuce vis-à-vis du scénario, le roleplay, la créativité, l’imagination) ne sont pas tellement représentatives pour moi. Ma définition personnelle s’appuierait plutôt sur les qualités de base d’un bon joueur d’improvisation : la principale étant l’écoute, les suivantes étant la capacité à concéder, à donner à voir et à s’adapter. Le « bon jeu », finalement, serait plus l’attitude à la table que ce qu’on peut produire dans la fiction.

Ces qualités-là ne sont pas innées (en tout cas, moi je reviens de loin). Elles se travaillent, elles s’apprennent, par l’expérience et par la pratique.

Deux choses avant d’aller plus loin :

– On peut ne pas être un bon joueur et s’amuser quand même et je n’ai aucun problème avec ça.

Ex : quand je joue au foot, je m’éclate à courir pieds nus sur la pelouse en beuglant « la passe la passe !», et même si je reste dans le cadre des règles, je ne suis pas en train de m’épanouir dans le « bon jeu ». Si les autres sont sur la même longueur d’onde que moi quand ils me proposent de jouer un foot, c’est parfait pour tout le monde.

– Progresser tout seul n’est pas suffisant. Comme dans un sport collectif, il y a ce qu’on développe seul (ses muscles, ses réflexes, son endurance…) et ce qu’on développe en équipe (la confiance, l’esprit d’équipe, le jouer ensemble). De mon point de vue, ma propre progression passe également par celle de la table entière.

 Peu d’outils théoriques

Le problème, c’est qu’il y a peu d’outils théoriques pour guider les joueurs dans leur cheminement.

Ça change à grande vitesse ces derniers temps, c’est pourquoi aussi je pense que c’est un bon moment pour ouvrir ce blog. (cf la page biblio, qui recense quelques excellentes ressources, et que j’espère pouvoir enrichir grâce à vous). Mais dans l’ensemble, sur les forums, les blogs et les podcasts, la parole sur le jdr est encore massivement assurée par les MJ et les auteurs, qui parlent aux MJ et aux auteurs. Je me dis qu’il serait peut-être temps d’équilibrer.

Cette configuration laisse les joueurs dans une espèce de noman’s land théorique, où, s’ils ont envie de se renseigner sur leur pratique, de creuser un peu par eux-mêmes, ils sont confrontés à l’image qui a été définie pour eux : le consommateur individualiste, au mieux docile, au pire trouble-fête, réceptacle d’une expérience conçue pour lui. (j’accumule les traits, en réalité on a rarement tout ça d’un seul coup, et il n’y a pas toujours un jugement de valeur dans cette description)

Il y a l’idée très répandue en jdr, sans doute issue des pratiques en club ou en convention, que si un joueur s’investit ou cherche à creuser, alors c’est un MJ ou un auteur. Quand j’ai cassé les pieds de mes fréquentations en demandant « Où sont les joueurs ? Comment je fais pour progresser ?» on m’a répondu « Toi, il va falloir que tu maîtrises » ou « Tu devrais écrire un jeu ». Finalement ces deux conseils ont été laissés tombés pour une même injonction : « Ouvre un blog ». Dont acte.

Peut-être qu’en allant chercher du côté encore peu exploité des pratiques artistiques et/ou sportives, les joueurs pourraient récupérer des outils leur permettant de reprendre la main sur leur pratique sans avoir à abandonner la place qu’ils occupent : travailler l’écoute, apprendre à dire oui, à donner à voir, à ne pas se figer sur une certaine cohérence, à donner de l’importance du collectif, etc.

Attention : à aucun moment je ne veux dire que le jeu en jdr doit forcément s’envisager comme moi je l’envisage, par tout le monde, et tout le temps. Je constate juste qu’il y a un angle mort, un pan peu considéré et peu exploité, qui est le point de vue du joueur ; et que les joueurs sont assez absents des théories sur le jdr. J’ai l’impression qu’on a responsabilisé d’abord les MJ sur les problèmes qui survenaient aux tables. Puis, avec la Forge et les avancées en gamedesign, on a responsabilisé les auteurs. Maintenant, je me dis qu’il est temps que les joueurs s’emparent aussi des problèmes et proposent leurs propres réponses.

Ça c’est pour la partie théorique. En réalité, je compte surtout amorcer un dialogue pour parler de pratique de jdr, collecter des expériences, trouver des outils pour ma propre progression (et éventuellement celle des autres)…

Si vous êtes MJ et/ou auteur en jdr, je pense que ma position peut apporter un éclairage différent sans pour autant remettre en cause vos expériences ou vos réflexions.

Si vous êtes un joueur et que vous envisagez le jeu complètement différemment, super chouette, parlons-en. On ne sera pas forcément d’accord à la fin, mais je cherche à élargir mes horizons autant qu’à proposer ma propre vision.


22 responses to “

  • Tom

    Bonjour
    Je suis Tête Brûlée de Casus Belli. Envoie moi un mail, j’aimerai qu’on discute d’une contribution possible au mag si le coeur t’en dit.
    Bonne journée !
    TB

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  • mechanteanemone

    Bonjour

    Je comprend, je joue bien plus souvent que je ne maîtrise. Ca a pris des années avant que je n’aie le goût d’être MJ et trente avant que je ne soit auteure! Malheureusement, les ressources avec lesquelles je suis familière sont en anglais puisque j’habite en Californie.

    Je note quand même que Fabien Hildwein exprimait des idées semblables il y a quelques années, mais plus centrées sur les règles: http://alcyon-jdr.com/pourquoi-je-ne-crois-pas-aux-techniques-de-masteurisation/ la discussion ui s’en suit. Il mentionne une ressource que j’allais suggérer, « Play Unsafe » de Graham Walmsley.

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    • Eugénie

      Effectivement j’ai vu passer la référence, et on m’a conseillé ce titre pas plus tard qu’hier… mais malheureusement je ne lis pas l’anglais ! C’est extrêmement frustrant.

      Et Fabien est une des personnes qui m’a poussée à ouvrir ce blog : nos positions ne sont pas exactement les mêmes, mais je le rejoins sur pas mal de choses, oui.

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  • Léo Caduff

    Hello amie arpenteuse d’univers parallèles!

    Je ne puis m’empêcher d’applaudir cette prise d’initiative qui brise l’image du joueur du consommateur qui n’a qu’à mettre les pied sous la table pour profiter de ce qui a été préparé pour lui.

    Pour partager brièvement mon expérience avec toi (vous), je dirais qu’une grand part de ce que j’aime en JdR est contenu dans ce JdR amateur:
    http://www.limbicsystemsjdr.com/category/jeux-de-role/prosopopee/
    L’idée est un JdR aux scénarii type « Impro », ou le MJ n’est finalement qu’un joueur parmi les autres, qui ne prépare pas de scénario à l’avance, et où tout le monde s’implique dans le déroulement des évènements.

    De base quand je suis MJ, je suis un MJ faignant qui n’aime pas prendre le dessus sur mes parties et incite le plus possible les joueurs à prendre la parole pour créer une part du tableau qui se déroule dans notre imaginaire. Pour moi, c’est ce qui rend une partie de JdR belle: la création de tableaux aux belles couleurs. L’égo s’efface alors au profil de la création commune, comme c’est le cas en impro’.

    Toutefois, je conçois que ce n’est pas facile à mettre en place ^^.
    En espérant que ceci t’apporte de nouveaux éléments pour ta réflexion :)
    (N’hésite pas à me contacter pour en discuter plus en profondeur, la philosophie du JdR est aussi un de mes sujets favoris :P )
    leo.caduff@gmail.com

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  • Arjuna Khan

    La réflexion est intéressante ! C’est vrai qu’on réfléchis souvent à ce que qu’est un bon mj mais rarement ce qu’est un bon joueur. Peut être parce que il y a une certaine forme d’absurdité à vouloir séparer les deux.

    Les personnes réunis autour de la table, dans beaucoup de jeu, sont divisé entre ces deux catégories : mj et joueurs. Cela veut-il dire que le mj ne joue pas ? Si oui que fait-il ? Je pense qu’une fois qu’on a répondu à cette question, on pourrait répondre à beaucoup d’autres… ^^

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    • Eugénie

      Oui, je ne suis pas très claire moi-même sur cette séparation : quand je parle des joueurs dans mes billets, la plupart du temps, cela s’entend « MJ compris ». Disons que j’essaie de ramener la focale sur le socle commun entre tous les joueurs à la table, plutôt que de m’intéresser à la particularité d’un seul (le MJ, donc). Pour changer.

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  • Alexandre Guetat

    Petite réponse de joueur parfois MJ, présentée du point de vu MJ : en tant que MJ « neuf » j’ai justement pris en compte mes réflexions de joueur pour écrire mes scenarii. Tes réflexions sont très proches des miennes et c’est inintéressant.
    Quand je masterise je laisse une très grande liberté a mes joueurs, quitte a mettre en danger le scénario, ce qui nous permet souvent de beaucoup rire.
    Mes joueurs sont libre de jouer leurs personnages, et si l’un d’entre eux veut tirer au mortier sur un navire de transport de troupe nazi (un sociopathe dans Hollow Earth Expedition) et que le groupe ne s’y oppose pas, je laisse faire, mais j’enclenche aussi les conséquences appropriés. Fuir la ville fut des plus épique ^^ Une belle grosse soirée de roleplay ^^

    J’en reviens donc a cette idée de responsabilité des joueurs : il faut les encourager a créer des situations intéressantes.

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  • Jules

    Bonjour, j’aime beaucoup ce que tu dis et ce que tu fais, Merci.

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  • DaftFlo

    Salut Eugénie,

    Je n’est pas assez de temps pour venir ici régulièrement mais je salut avec force cette initiative. Bon courage et bonne continuation !

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  • adriensourdot

    Un moyen puissant de développer le jeu de son personnage (nous avons trouvé ma compagne et moi) est un 1v1 des événements clefs du background du personnage. Cela peut prendre le temps qu’il faut. Mais sachant qu’il ne s’agit que jouer des événements passés, pas de stress de s’y prendre mal ou d’en mourir. On peux même decider de rejouer les scenes qui après coup nous semblent « ratés ». Le tout permet d’aller aussi loin et profondément qu’on le peux dans une characterisation precise, personnelle et inspirée de son personnage, et le tout dans l’intimité du 1v1.
    Suite à ça y a plus qu’a se lancer en groupe et faire confiance a son inconscient, et sa mémoire!

    J’essaye autant que faire se peut d’avoir une telle session avec chacun de mes joueurs (et ce bien sur après une creation en groupe des personnages pour qu’on s’entende sur un cast qui fonctionne)… (les pre-tirés je ne ferai jamais ça)

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  • adriensourdot

    Et puis il y ce site qui vraiment casse ma baraque.

    En deux mots ce que j’en ai retiré:

    -Les joueurs (tout comme le MJ) peuvent poser des « flags » (drapeaux) pour annoncer leur CONDITIONS du jour.
    Condition perso genre, « aujourd’hui j’explore la bêtise de mon perso et j’ai besoin que le MJ intègre cet aspect de roleplay dans la partie »;
    ou condition partagée: « aujourd’hui je veux tester la relation PJ1 avec PJ2 par rapport a tel sujet »… (les gars de Living World of Darkness font ça très bien , tellement bien qu’ils peuvent se passer de MJ)

    Et puis une idée majeure que j’ai piquer dans ce site:

    L’ALIGNEMENT du joueur par rapport a son perso:

    1- Alignment total: Mon perso gagne/Je gagne, il perd/je perd, il meurt/… Mon but est de voir mon perso achever ses objectifs.

    2-Alignement partiel: je joue avec toute l’intégrité nécessaire pour voir/exposer mon personnage s’exercer a accomplir ses objectifs, mon but est DECOUVRIR (avec tout le monde) comment mon perso s’en tire/ou pas.

    3-Alignement opposé: je joue en contraste avec les objectifs de mon perso: pour, soit illustrer ses faiblesses et son inhumanité, ou bien carrément le conduire a sa perte…

    4-Non-alignement (ou alignement passif): mon but est de voir mon perso survivre peut m’importe ses objectifs.

    5-J’ailgne les objectifs de mon perso avec ceux des autres persos, quels que soient les objectifs de base de mon perso. En tant que joueur je vais aider les autres joueurs a achever leurs objectifs (de Joueur) ou bien les objectifs de leur perso.

    L’alignement Joueur/Perso peut faire l’objet d’un Flag temporaire pour le temps d’une session, ou bien carrément faire preuve de canon pour une partie entière, et peut aussi changer de session en session.

    How roleplaying works: All of the above

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  • Taraka

    Tu te qualifies de joueuse encore en cour de développement et recherche, ce à quoi je répond : si tout mes joueurs jouaient à moitié comme toi, j’en serai heureux. Bravo. J’ai adoré écouter vos aventures (bravo à l’équipe entière qui m’a tenue en haleine durant des heures) apocalyptiques sur Bloody tears. Rien à ajouter, du beau boulot.

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  • Sillade

    Bonjour, j’ai adoré parcourir votre blog et j’aimerai vous proposer de venir participer à JDR’idée en Suisse dans le cadre de la convention Orc’idée (pour vous donner une idée : https://www.youtube.com/channel/UC9SVHuZNS_JHofmOET3I3EA et http://www.orcidee.ch pour la convention). pourriez vous me contacter pour que je voue envoie les détails?

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  • patate des Ténèbres

    Quel succès cet article! C’est chouette de voir qu’il est possible d’échanger sereinement sur des choses qui sont finalement le cœur du loisir. Pour ma part, cela fait un peu plus de trente ans que je mène, mes envies ont évoluées avec l’expérience de nombreux systèmes, évidemment maintenant je préfère créer les miens plutôt que continuer à surconsommer du jdr. Bref, ton approche est super intéressante et j’aimerai la retrouver plus souvent parmi mes rôlistes, je n’en ai cependant pas beaucoup, faisant presque exclusivement de la session-découverte avec des novices, à qui j’explique l’importance de créer ensemble une histoire, de faire ce qu’ils et elles souhaitent dans les limites de la cohérence du monde, à moi ensuite de m’adapter, de rebondir en utilisant les classiques techniques. Je mène toujours en impro, avec quelques antagonistes développés, et des systèmes ultra-léger, considérant que le moindre jet de dés vient casser le rythme narratif, à partir duquel sont retirées les émotions les plus vraies. Il nous arrive souvent d’ailleurs de jouer sans règles, dans des univers inventés sur le moment. Le respect de la cohérence interne suffisant largement comme système (la majorité des gens ayant tendance à se limiter déjà d’eux-mêmes sur à peu près tout). Bon, du coup j’ai perdu le fil de mon propos, mais en tout cas, chouette article!

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  • Stephen Sevenair

    Texte de plus de 5 ans mais toujours pertinent !

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