Jouer l’impact 2

Mesh

Mes questions du moment autour de jouer l’impact ont trouvé un genre de résonance dans l’excellente série d’articles Pour une grammaire du jeu de rôle de Vivien « Mangelune » Féasson. Je vous invite à parcourir ces billets, qui sont clairs, courts et bien foutus, avant de poursuivre celui-ci, ce sera peut-être plus simple.

Cette série propose de s’intéresser non pas à la fiction produite, non pas aux règles qui la soutiennent, mais aux échanges entre joueurs. Ce qui me convient tout particulièrement dans la mesure où la façon dont je joue est pour moi une façon d’interagir avec les autres avant d’être une expérience personnelle (expérience ludique, immersion) ou une production artistique/créative (la fiction, mon PJ, le scénario).

 

1. Proposer / valider

Vivien Féasson explique que le plus petit maillon d’échange rôlistique à une table, c’est une proposition d’une joueuse A suivie d’une validation d’une joueuse (ou meneuse) B. Il pensait exclure le jeu type « improvisation théâtrale » de cette observation mais en réalité, même en théâtre d’impro, où les joueuses acceptent par principe tout ce qui est énoncé, elles doivent valider les propositions des autres en permanence.

J’invente pas, mon dernier stage d’impro théâtrale a tourné autour de ce leitmotiv « validez validez validez ».

Pour prendre un exemple : une fille commande un verre, regarde sa montre et soupire Mathieu mais qu’est-ce que tu fous ? En 15 secondes, la joueuse fait trois propositions : 1. la scène se passe dans un bar ; 2. elle attend Mathieu ; 3. il est en retard.

Un joueur entre en scène, traverse l’espace pour aller vers elle, l’air pas bien réveillé et lui lance Ça fait longtemps que t’attends ? Je crois que je suis encore déchiré... Techniquement, il a validé deux des propositions : c’est lui son rencard ; il confirme qu’il est en retard. Mais pas la première. Il lui aurait suffit de prendre le temps de commander un verre, saluer des habitués ou la patronne, ou se glisser entre des tables ou des groupes de gens qui boivent pour contribuer à matérialiser le bar, rien que par son entrée en scène.

C’est du détail, certes. Sauf qu’une proposition qui n’est pas validée va flotter, sans feed-back on ne sait pas trop si elle a été entendue, comprise ou acceptée. Et plus on accumule ce genre d’échange plus la scène va patiner dans la semoule. Je me permets de vous renvoyer à Du fixe et du mouvant pour les questions de patinage et de semoule.

Vivien Féasson explique que dans un échange rôliste traditionnel, la validation va servir à faire entrer la proposition dans la fiction collective, alors qu’en jeu type impro théâtrale, on peut se passer de cette étape dans la mesure où ce qui est énoncé est automatiquement accepté. Il a en partie raison, car en impro théâtrale, la validation va plutôt servir à cliper les propositions les unes aux autres pour construire un maillage solide et dynamique. On appelle ça construire.

Même si on ne le fait pas pour les mêmes raisons, et peut-être pas de la même façon, dans les deux approches, on gagne en qualité et en puissance quand les propositions sont validées. Les (bons) MJ assurent naturellement ce ping-pong, que ce soit en reformulant ce qu’a dit la joueuse, en enrichissant la description, en faisant réagir le décor ou les figurants à ce qui se joue, ou en validant d’un ok, ou ça va, ou très bien en meta… Alors que les joueuses le font beaucoup plus rarement, même dans des jeux sans MJ.

De mon côté, je sais que je pratique énormément le hochement de tête (qui ne passe pas si bien sur hangout, soyons honnêtes) et le commentaire meta. Mais j’aimerais arriver à assurer ce ping-pong aussi dans la fiction, comme certains Best Gamers Number One que je fréquente.

Bref, jouer l’impact s’apparente pour moi à cette validation : je termine le mouvement amorcé par l’autre joueuse. En termes grammaticaux, en jouant l’impact je crois que je conclus la phrase commencée par l’autre joueuse ou meneuse.

 

2. Character versus character

Cette validation, notamment en jouant l’impact, c’est aussi une façon de signaler ok on joue ça à l’autre joueuse ou MJ. Et cela m’est très précieux pour les conflits entre personnages, qu’ils soient physiques ou psychologiques.

Je me rends compte que je suis assez mal à l’aise avec le PvP (player versus player) alors que j’adore le CvC (character versus character). La différence que je fais entre les deux modes, c’est que tant que nous restons dans le roleplay, la pure fiction, il est évident pour moi qu’il ne s’agit que d’une mise en scène à laquelle nous contribuons à deux (ou plus). L’autre joueuse peut réagir comme elle le souhaite à l’agression que produit mon PJ. C’est elle qui choisit l’impact que l’agression produit sur son PJ.

Si on en vient aux dés, ce sont eux qui valident l’agression, pas la joueuse impliquée. Personnellement, je considère que je ne peux plus savoir si elle est ok pour mettre ça en scène ou pas. Et on en arrive au PvP tel que je le conçois, c’est-à-dire utiliser le système pour contraindre une autre joueuse à accepter ma proposition alors qu’elle y résiste. Autant ça ne me gène pas trop de le subir, autant je suis très mal à l’aise quand c’est moi qui dois lancer les dés.

Sur notre campagne d’Apocalypse World, il est arrivé à ma chienne de guerre de tabasser le taulier. Le MC a proposé de lancer un move pour valider l’agression mais j’ai refusé. Par contre, le joueur a validé mon geste en signalant que le taulier mis à terre crachait deux dents avant de se relever et de répliquer C’est la dernière fois que tu me touches, Walkyrie. Cette mention spontanée de l’impact de mes coups dans la fiction me permettait de savoir que nous étions d’accord tous les deux pour jouer ça, dans la mesure où le joueur n’était pas obligé de l’accepter. Il aurait pu décrire une toute autre réaction : bloquer mes coups, encaisser sans tomber à terre, m’immobiliser, rendre les coups, etc.

Ce petit détour mis à part, revenons à mes histoires de ping-pong.

 

3. Épaissir le décor, le monde fictif

Contribuer au ping-pong de proposition/validation c’est aussi une façon de renforcer l’évocation du monde fictif et la présence des personnages à la table. Si mon personnage est impacté par ce à quoi il se confronte, alors il fait vraiment partie de cet univers, il en éprouve le poids, les tensions, même s’il choisit de les dépasser au moment d’agir, dans un second temps.

D’autre part, parce que la somme des petites validations, c’est du jeu, ça me permet d’introduire de nouvelles perches à saisir pour les autres (ou pour moi-même), même si je n’y avais pas pensé en le disant. A propos du Jeu mindfuck, j’évoquais le principe de « jouer devant mes pieds ». Valider en fait partie. Je n’ai pas besoin d’avoir des idées de génie, si je commence par valider tout ce qu’on me propose, je produis déjà du jeu.

Il y a longtemps, je vous parlais de ma petite manie de jouer le PJ de Schrödinger : quelqu’un dit entrez ou on entre, et moi je me tais. Et tant que je n’ai rien dit, mon PJ peut être entré avec les autres ou resté à l’extérieur, ça n’est pas très clair. Parce que je n’ai pas validé ou invalidé la proposition on entre.

Alors que si le MJ décrit sommairement une vieille bicoque dans laquelle un chasseur nous invite à entrer, je peux valider ça par la façon dont mon personnage va s’y mouvoir : Je m’assois tout au bord du banc noir de crasse avec un air dégoûté. Propositions validées : je suis entrée, et c’est un décor pourri.

J’ai l’impression que ce genre de validation produit un cercle vertueux. Dans mon exemple, le MJ n’avait peut-être pas prévu qu’il y avait un banc, a fortiori noir de crasse, mais en contribuant à la description de ce qui est pour moi le mobilier standard d’une vieille bicoque de chasseur, je viens de l’introduire pour la suite. Si un PJ un peu sanguin veut s’en emparer pour le briser dans un mouvement de colère, et bien il sera là.

On parle souvent du coup du lustre dans les auberges. J’avoue que la scène où le mec s’accroche au lustre pour se faire douze gardes d’un coup est un genre de fantasme de joueuse pour moi. Mais pourquoi j’y pense entre les parties et jamais sur le coup ? Pourquoi quand retentit le fameux « initiative ! » j’ai l’impression de me rabattre toujours sur les mêmes mouvements basiques ? D’une part, parce que j’ai une imagination limitée, surtout s’il faut prendre une décision rapide (je dois reconnaître que c’est pas facile tous les jours). D’autre part, parce qu’on prend assez rarement le temps de poser des leviers un peu partout dans la pièce au cas où on s’en servirait par la suite.

Qu’une scène d’auberge commence par 15 min de dialogue pour savoir qui boit quoi ça m’intéresse peu. Par contre, si, pour décrire l’entrée des PJ, les joueuses font des remarques sur la longueur des rideaux, la table qui est bancale (ça doit être que le pied qui est en train de se barrer, regarde-moi ça) ou un coup d’oeil appuyé au grand miroir derrière le barman, là je commence à avoir du matosse. Qui servira ou pas.

Je crois l’avoir déjà mentionné à propos de la concession, mais je me permets de rabâcher un chouïa : contrairement à ce qu’on m’avait dit à mes débuts, produire un monde fictif palpable, intéressant, crédible, c’est pas uniquement le job des MJ, c’est aussi mon rôle de joueuse. Et imbriquer mes propositions à celles des autres en prenant le temps de jouer l’impact (entre autres), c’est encore mon job.

 

crédit photo : Thomas Hawk (CC BY-NC 2.0)

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