Du fixe et du mouvant 2

attention sables mouvants

Suite directe du billet précédent, pour nuancer ce que j’ai posé à la truelle sur le rembobinage en jdr et affiner un peu mon « je me tiens à ce qui a été dit et on avance ».

3. Investir les blancs, préciser les flous

Il y a des cas de retour en arrière qui sont mieux tolérés que d’autres.
Notamment quand on revient dans un petit espace (un blanc) pour ajouter un élément qui ne bousculera pas toute la trame jouée ensemble : au fait, j’avais pensé à prendre tel équipement ; au fait j’avais laissé un message à mon frère avant de partir, etc.
Ou quand on précise une proposition générale (un flou), dans la mesure encore une fois où ça n’impactera pas ce qui a été joué : je passe par la ruelle (puis plus tard, si le passage s’est bien passé) au fait, j’avais quand même fait gaffe à ne pas trop attirer l’attention.
Ça passe mieux. Mais ça ne me convient pas pour autant.

Pour reprendre mon tout premier exemple de situation d’improvisation :
Un joueur A dit ou fait savoir par ses mouvements qu’il y a un meuble au milieu de la pièce.
Un joueur B ne peut pas revenir là-dessus. Il ne peut pas nier qu’il y a un meuble. Mais il peut préciser la proposition, en faisant savoir que ce meuble est un lit.
Le joueur A pensait que c’était une table mais il n’avait pas pris le temps de le préciser, il ne peut pas revenir en arrière non plus, même si c’est lui qui a initié la proposition. Mais il peut préciser que la pièce est un hall d’accueil de mairie et qu’un lit n’a rien à y faire.
Le joueur B pensait être dans un hôpital, mais il ne peut pas revenir dessus. Par contre, il peut expliquer que la mairie est devenue une annexe de l’hôpital à cause de l’épidémie.

En réalité, c’est une mauvaise situation d’impro. Si je veux jouer une scène avec une grande table au milieu du hall de la mairie, je devrais faire savoir dès le début qu’il y a une grande table au milieu du hall de la mairie. Ça n’empêchera pas l’autre improvisateur de dire que la mairie a été aménagée en annexe de l’hôpital et qu’il y a un corps mal en point sur cette table, s’il le souhaite. Mais on n’aura pas perdu de temps en devinettes et la situation sera claire dès le début pour tout le monde.
Après tout, l’important c’est de trouver comment lutter contre cette épidémie, ou de repousser les zombies, ou de faire vivre une très belle ambiance de post-apo avec deux survivants, ou peu importe… C’est de pouvoir jouer pleinement ce qui va arriver après.

Par exemple en jdr…
J’ai cette sale petite manie de jouer souvent le pj de Schrödinger. C’est-à-dire de fermer ma gueule quand quelqu’un dit « bon, on rentre dans la pièce ». Tant que je n’ai rien dit, pour moi et pour les autres, mon pj n’est ni entré ni resté dans le couloir, et en même temps un peu des deux quand même.
Je n’en suis pas très fière, et c’est un pur réflexe de lapin pris dans la lumière des phares : genre hé si c’est dangereux je préfère pas, mais en même temps si c’est important que je sois là, je veux pas être pénible non plus… donc j’attends de voir.
La présence de mon PJ dans la pièce n’a pas été formulée. Son absence non plus. C’est une zone de flou qui va durer un peu. Certains pensent qu’il est entré, d’autres ne pensent même pas sa présence ou son absence dans la pièce, c’est juste hors cadre.
Au bout d’un moment, si je n’ai toujours rien dit, il se trouve que sa présence va être implicitement validée… un genre de « qui ne dit mot consent ». Mais en attendant, ce n’est pas correct vis-à-vis des autres joueurs, parce que j’installe une zone de sables mouvants, un point où nos imaginaires respectifs vont diverger.

Or, comme je l’ai déjà dit, mon kiff tient justement dans la façon dont tous les joueurs autour de la table vont accorder et coordonner leurs visions des choses. Nous ne pouvons pas y arriver si nous nous basons sur de la confusion ou du non-dit.

Comme en improvisation, où un bon joueur va avoir à cœur de préciser les flous, investir les blancs, produire des éléments solides sur lesquels il pourra co-construire avec l’autre, je me dis qu’en jdr nous pourrions avoir aussi en tête cette volonté de faire des propositions claires, précises et stables du premier coup.

4. Suspendre la fiction puis stabiliser

Oui mais.

En jdr, même si je fais l’effort de toujours poser des éléments clairs, de donner un maximum d’infos aux autres sur ce que fait mon perso, ou ce qu’il pense, ou pourquoi il le fait ou il pense, où il est, etc. etc. il y a quand même ce moment particulier où on ne sait pas ce qui est validé et ce qui va être effacé, et à ce moment là, tout coexiste.

J’ai longtemps eu du mal à intégrer ce que je pouvais dire ou pas à une table de jdr, et quand je pouvais le dire ou pas. J’ai du mal à encaisser qu’on puisse invalider mes propositions, que ma parole ne soit pas performative (c’est-à-dire qu’elle ne fasse pas immédiatement exister ce que je dis). Ce qui m’a conduit souvent à me taire, mais ça c’est une autre histoire.

J’ai l’impression que quand, par exemple, mon pj d’orpheline psychopathe tente d’égorger un garde, alors on suspend la fiction. Tant que les dés n’ont pas roulé (par exemple), on ne sait pas si ce que le pj a tenté est accompli. On a le début du mouvement, l’élan et l’intention, mais pas son aboutissement. Pendant ce laps de temps, elle a à la fois réussi et échoué et ni l’un ni l’autre. Tout est possible.

Je me demande si on ne pourrait pas réunir cette particularité pittoresque du jdr et l’injonction de l’improvisation théâtrale à préciser les flous au maximum par la façon dont on exprime les propositions à valider.
Je peux m’en tenir à une hypothèse ou une question, qui ne sera pas une affirmation sur le résultat, et qui peut-être rejetée sans être un réel retour en arrière :
Ex : Si je formule un prudent « si je peux le faire alors je tente de l’égorger» ou si je pose la question « est-ce que je peux l’égorger ? », on en est encore à l’hypothèse du geste par exemple. Tout le monde à la table l’a entendu fuser sous le crâne de mon pj, mais le pj n’a rien tenté encore.
Je peux aussi formuler l’intention et l’élan, sans m’avancer sur le résultat :
Ex : Si je dis « je tire » ou « je tape» à la place de « je le tue», j’annonce quelque chose de solide. J’ai autorité pour tirer ou taper, et on verra bien ce que ça donne sur le résultat. Certes, mon cerveau est déjà en train d’anticiper que je vais le buter grave, parce que je ne suis pas une psychopathe tueuse à gages pour rien, mais ce n’est pas ce qui a été dit. Et ce que mon cerveau anticipe, je sais bien que ça n’existe pas.

Je ne suis pas sûre de faire le bon choix en m’en tenant à cette façon de jouer. Je pense que je joue de façon timorée, souvent. Mais c’est ce que j’ai trouvé de mieux pour que ma parole ait un vrai poids, dans la mesure où mes affirmations sont très rarement invalidées.

Ça implique aussi de percevoir parfaitement ce que je peux me permettre d’affirmer (ce sur quoi j’ai autorité) et ce que je ne peux pas me permettre de poser moi-même directement. J’ai encore beaucoup de mal avec cette perception-là. C’est ce que Fabien évoquait en commentaire du billet précédent, à propos des propriétés/responsabilités.
Les jeux dits forgiens ont cet avantage incroyable d’écrire noir sur blanc pour tout le monde ce qui relève de la responsabilité de qui. C’est une gymnastique particulière à pratiquer pour les joueurs, parce que la prise de parole est totalement variable d’un jeu à l’autre (qui peut dire quoi quand). Mais ces variations permettent justement ensuite de régler les curseurs en commun à la table.

 

Pour reprendre et compléter la conclusion du billet précédent, voici mes pistes à moi pour limiter la confusion à la table :
1 – savoir faire la différence entre ce que j’imagine et ce que je donne à voir aux autres
2 – adapter en permanence ce que j’imagine aux propositions des autres
3 – ne pas contredire les propositions des autres (cf 2)
4 – garder la forme affirmative pour ce qui appartient à mon domaine de responsabilité
5 – énoncer des propositions claires et précises, et m’y tenir (cf 4)

Je ne prétends pas en être capable, là tout de suite. Mais je me dis que je serai une meilleure joueuse si je travaille en ce sens. Si je me trompe d’objectif ou de moyens, n’hésitez pas à me le faire remarquer…

crédit photo : Mark Roy (CC BY 2.0)

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